"Intérêts et limites de l'étude de l'ADN/ARN en biologie médicale en 2017"

Compte rendu et diapositives présentées lors de la séance thématique du 15 mars 2017
Introduction par Frédéric Eberlé
"Le typage moléculaire des leucémies et lymphomes" par Marie-Christine BENE
"Indications de la détection de l'ADN fœtal dans le diagnostic prénatal" par Damien SANLAVILLE
"L'exploration du génome viral en pratique hospitalière" par Astrid Vabret
"L’épidémiologie moléculaire en laboratoire de recherche en bactériologie : l'exemple de Escherichia coli" par Erick Denamur

 

« Intérêts et limites de l’étude de l’ADN/ARN en biologie médicale en 2017 »

 

Séance thématique

Sous le Haut-Patronage de Madame la Ministre des Affaires Sociales et de la Santé

 

Mercredi 15 mars 2017 à 14 h 00

 

Accueil par Claude Vigneron, Président de l’Académie nationale de Pharmacie

Introduction générale

 Frédéric Éberlé, membre de l’Académie nationale de Pharmacie

Diapositives présentées

 

Frédéric Éberlé introduit le programme de cette séance thématique qui a été préparée sous l’égide de la 3ème section. Il indique que le comité de pilotage est constitué de Michèle German, Michel Arock et Claude Vigneron. Quatre disciplines de biologie médicale sont représentées à cette séance : l’hémato-cancérologie, la génétique, la virologie et la bactériologie. Le comité de pilotage a proposé trois objectifs à chaque conférencier :

 

  • décrire les techniques de biologie moléculaire utilisées dans leur laboratoire ;
  • en présenter les avantages et les inconvénients, eu égard aux autres techniques utilisées ;
    • exposer l’expertise du biologiste médical pour contextualiser les résultats des analyses pour la suite de la prise en charge du patient.


« Le typage moléculaire des leucémies et lymphomes »

Pr Marie-Christine Béné, Laboratoire d’hématologie, CHU Nantes

Diapositives présentées

Le développement de la biologie moléculaire en hématologie a permis l’identification de nombreuses anomalies associées de façon étroite à des pathologies spécifiques. Le plus grand succès est sans doute celui de la translocation t(15;17) conduisant au gène de fusion PML-RARA accessible à une thérapeutique ciblée double et maintenant bien comprise, à base d’acide tout-trans rétinoïque et d’arsenic, permettant une quasi guérison des leucémies aiguës promyélocytaires (LAM3). Juste derrière, ou au coude à coude, se trouve le chromosome Philadelphie, la translocation t(9;22) conduisant au transcrit de fusion BCR-ABL. On se trouve ici devant la cohorte impressionnante de patients atteints de leucémie myéloïde chronique, dont le pronostic et l’espérance de vie se sont vus transformés par l’avènement des inhibiteurs de tyrosine kinase. Dans les cas de leucémies aiguës lymphoblastiques qui présentent la même anomalie (Phi+) ou des remaniements moléculaires proches (Phi-like), l’exploration de ces caractéristiques peut également renverser le pronostic.

La situation est plus complexe pour les autres leucémies aiguës myéloïdes (LAM) où la valeur pronostique des mutations de la nucléophosmine (NPM1) et de FLT3 (fems-like receptor tyrosine kinase) est variable en fonction de leur association. Plus récemment, d’autres anomalies sont entrées dans l’arsenal diagnostique, soit pour leur poids pronostique conduisant à envisager une allogreffe de cellules souches hématopoïétiques, soit en raison du développement de thérapies ciblées. Les dernières recommandations de l’European LeukemiaNet et de l’Organisation Mondiale de la Santé les prennent en compte.

Dans le domaine des lymphomes, la Caractérisation de la Cellule d’Origine (COO) porte un poids pronostique amenant à guider le traitement selon que l’on a affaire à un lymphome de cellules folliculaires (GC) ou activées (ABC). Cette caractérisation repose sur des signatures protéiques accessibles en anatomopathologie ou sur des signatures moléculaires. Par ailleurs, les lymphomes B sont porteurs d’anomalies moléculaires associées à leur type immunophénotypique/cytogénétique, avec là encore des facteurs pronostiques et des cibles théranostiques.

L’ensemble de ces aspects sera évoqué et illustré.

 Questions - réponses - Commentaires

Claude Bohuon (Q) : peut-on considérer que les traitements par l'arsenic ont été découverts par hasard ou grâce à la compréhension de son mécanisme d'action ?

(R) : les chinois ont été les premiers à utiliser l’arsenic et à obtenir la guérison de leurs patients sur une base empirique ; en France, l’acide tout-trans rétinoïque a été utilisé dans les travaux de Laurent Degos. Une collaboration entre Hugues de Thé et un médecin chinois s’est également installée. On sait maintenant que l’arsenic contribue à la bonne structure des PML bodies. L’acide tout-trans rétinoïque agit en empêchant la liaison à l’ADN qui bloque la différenciation. Après des observations initialement empiriques, les mécanismes moléculaires sont maintenant parfaitement démontrés.

Michel Arock (Q) : 1. quels sont les facteurs influençant la réponse des LAM3 à l'acide rétinoïque et à l'arsenic ? 2. quel est le rôle des JAK2 mutés dans les syndromes myéloprolifératifs (SMP) ?

(R1) : l’explication des non-réponses n’est pas encore élucidée.

(R2) : je n’en ai pas parlé car la question n’était pas à l’ordre du jour aujourd’hui ; mais je reviendrai volontiers !

Henri-Philippe Husson (C) : vous avez parlé d'arsenic ; en réalité il s’agit de l'anhydride arsénieux As2O3. Un coup d’œil dans les vieux Codex indique que la liqueur de Fowler contient de l’arsenic et était donnée comme reconstituant aux personnes mal en point. Ces personnes ont peut-être guéri d’une leucémie inconnue !

(R) : les métaux toxiques en petite quantité sont nécessaires à la vie ; l’arsenic est important car notamment, il se fixe sur les cystéines et renforce les structures en fleur des PML bodies.

Marc Vasse (Q) : comment différencier l’origine des acides nucléiques amplifiés (cellules vivantes versus cellules mortes) ?

(R) : j’ai indiqué que lorsqu’on a dosé de l’ARN ou de l’ADN, on ne sait pas si les cellules sont vivantes ou non. Parfois il y a une discordance entre les résultats obtenus par biologie moléculaire et par cytométrie de flux. La cytométrie de flux permet d’ailleurs de différencier les cellules vivantes des cellules mortes. D’une manière générale on ne rend pas un diagnostic sur un seul résultat ; dans la mesure du possible, il faut comparer avec différentes technologies.

Frédéric Éberlé (Q) : vous avez parlé des marqueurs diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques. En quoi la connaissance des marqueurs pronostiques change-t-elle la prise en charge thérapeutique des patients ?

(R) : les facteurs pronostiques jouent le rôle d’alerte. Dans la leucémie aiguë par exemple, nous cherchons très vite un donneur pour envisager une allogreffe.

Christiane Garbay (Q) : comment explique-t-on que l'on puisse arrêter les traitements inhibiteurs de tyrosine kinases (ITK) après trois ans dans les LMC et que l'on considère les patients comme guéris ?

(R) : ces patients sont en réponse moléculaire complète. Dans ce cas, on pense que le clone a été supprimé et que le système immunitaire a repris le dessus. On s'applique à effectuer une surveillance extrêmement précise du patient, et le cas échéant, à reprendre le traitement. Il faut signaler que certains patients sont terrifiés à l’idée d’interrompre leur traitement.

Michel Arock (C) : sous ITK, je suis dubitatif sur la disparition complète du clone leucémique car peut-être que les cellules souches leucémiques ne sont pas forcément sensibles ?

(R) : effectivement, les ITK ont un effet immunologique ; le système immunitaire reprend le contrôle une fois que la masse tumorale est suffisamment diminuée.

Claude vigneron (Q) : dans la maladie résiduelle, est-ce qu'on effectue un suivi pour tous les patients ?(R) : oui, tous les patients sont suivis depuis quelques années : la prise en charge est réalisée par la DGOS et selon les recommandations de l’INCa. Ceci s’applique aux patients avec LMC BCR-ABL- positifs ; il en est de même pour les mutations JAK2 dans les SMP.


« Indications de la détection de l’ADN fœtal dans le diagnostic prénatal »

Pr Damien Sanlaville, Service de génétique, Centre de biologie et de Pathologie Est, Lyon

Diapositives présentées

Depuis les années 70, le diagnostic prénatal s’est développé en France, conduisant, à la fin des années 90 à la création de centres de diagnostic prénataux (CPDPN) et au développement de la médecine fœtale. Dans ce cadre, différents types d’examens peuvent être proposés aux couples dans un but étiologique. Parmi ces examens, les tests génétiques occupent une grande place, en particulier la réalisation d’un caryotype fœtal dans le cadre du programme de dépistage de la trisomie 21. Afin de réaliser les examens génétiques, de cytogénétique ou de génétique moléculaire, il faut réaliser un prélèvement invasif comme une ponction de villosités choriales (choriocentèse) ou de liquide amniotique (amniocentèse). Néanmoins plusieurs complications sont liées à ces gestes invasifs, dont le risque de fausse couche est estimé entre 0,5 et 1 %.

En France, ces dernières années, environ 700 000 femmes effectuent un test de dépistage de la trisomie 21 et environ 45 000 caryotypes fœtaux sont réalisés sur les 800 000 grossesses annuelles.

En 1997, Lo et al. ont identifié, dans le sang maternel, de l’ADN fœtal libre circulant. À partir de ces découvertes, ont été développés plusieurs tests génétiques. Ces tests ont pour principal avantage, outre le fait qu’ils ne soient pas invasifs, d’éliminer le risque de fausses couches suite au prélèvement.

Les premiers tests développés sont des tests diagnostiques basés sur la recherche d’une séquence génomique absente du génome maternel comme les séquences d’ADN spécifiques du gène SRY pour le diagnostic de sexe fœtal ou du gène RHD pour les femmes rhésus négatif.

Par la suite, se sont développés des tests de dépistage en particulier grâce à la mise au point des techniques de séquençage massif en parallèle (NGS, Next Generation Sequencing). Le test le plus médiatisé est sans aucun doute le DPNI pour la trisomie 21. Le terme DPNI sous-entend dépistage prénatal non invasif de la trisomie 21. Il s’agit toutefois d’un mauvais terme car le test de dépistage combiné du premier trimestre est également un test non invasif. Le terme anglo-saxon est « cell-free DNA (cfDNA) based non-invasive prenatal testing » résumé souvent par NIPT (Non Invasive Prenatal Test). La haute autorité de Santé recommande le terme de « test ADN libre circulant dans le sang maternel dans le dépistage de la trisomie 21 fœtale ». De nombreux articles scientifiques ont validé l’intérêt et l’efficacité de ce test. À titre d’exemple, la valeur prédicative positive (VPP) du test combiné du premier trimestre est de 4 % (données de l’Agence de la biomédecine) alors que la VPP du DPNI pour une population à risque de trisomie 21 fœtale est d’environ 90 % (Taylor-Phillips et al. 2016). Par ailleurs, ce test est devenu disponible en France il y a environ trois ans et son coût ne cesse de baisser. La Haute Autorité de Santé va très prochainement publier des recommandations sur l’utilisation de ces tests pour le dépistage de la trisomie 21.

Outre la trisomie 21, ces tests non invasifs permettent de rechercher bien d’autres anomalies chromosomiques, dont des anomalies des gonosomes. Actuellement certaines publications montrent même que, sur ce type de prélèvement, il est possible d’obtenir des informations équivalentes à celles obtenues sur un caryotype fœtal après prélèvement invasif.

Ces tests non invasifs peuvent également identifier des variations nucléotidiques dans un gène et il est maintenant possible de proposer un test non invasif pour le diagnostic prénatal d’une pathologie moléculaire comme l’achondroplasie ou encore la mucoviscidose.

Nul doute que les progrès technologiques associés à la forte demande parentale et sociétale, en plus de l’aspect mercantile, vont augmenter dans les années à venir l’utilisation de ces tests non invasifs en période prénatale. Il sera nécessaire de rester vigilant au niveau éthique afin que ces tests restent prescrits dans un contexte médical et soient donc encadrés. 

Lo, Y.M., Corbetta, N., Chamberlain, P.F., Rai, V., Sargent, I.L., Redman, C.W., and Wainscoat, J.S. (1997). Presence of fetal DNA in maternal plasma and serum. Lancet 350, 485–487.

Taylor-Phillips S, Freeman K, Geppert J, Agbebiyi A, Uthman OA, Madan J, et al. Accuracy of non-invasive prenatal testing using cell-free DNA for detection of Down, Edwards and Patau syndromes: a systematic review and meta-analysis. BMJ Open 2016;6 (1):e010002.

Questions - réponses - Commentaires

Claude vigneron (Q) : comment isole-t-on les cellules endocervicales ?

(R) : on effectue un frottis à l’intérieur du col de l’utérus auquel on ajoute un tampon contenant des billes et des anticorps ; on récupère ensuite les cellules par le complexe antigène-anticorps.

Michel Arock (Q) : je vous remercie pour cet exposé remarquable. Comment explique-t-on qu'on retrouve des cellules fœtales dans la circulation maternelle pendant une durée aussi longue que des dizaines d'années ?

(R) : ceci provient de résultat d'études observationnelles dont le mécanisme d'action n’est pas encore élucidé. Il y a probablement une forte acceptation de la part des femmes enceintes de cellules étrangères. On a retrouvé des cellules fœtales dans le sang maternel et inversement. En rhumatologie, une hypothèse indique que l’une des causes des maladies auto-immunes chez les femmes pourrait être le fait d’une persistance de cellules fœtales.

Frédéric Éberlé (Q) : 1. y a-t-il des exigences réglementaires nouvelles pour réaliser ces tests de dépistage de la trisomie 21 ? 2. comment ces tests sont-ils utilisés en dehors de la France ? 3. quelle est la position des Sociétés savantes ?

(R1) : nous sommes à l’heure actuelle en attente des recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS). Pour ces tests, l'offre du marché n'a pas suivi le procédé habituel qui veut que la recherche vienne des hôpitaux puis soit transférée vers le privé. Dans ce cas, le marché a été initié par le privé, venant des USA notamment. L'HAS et l'Agence de Biomédecine sont en train de mettre en place des recommandations de bonnes pratiques pour savoir qui réalisera ces tests : type de structure - laboratoire de biogénétique ou laboratoire de biologie médicale agréé pour la biologie moléculaire ou la cytogénétique- ? 

(R2) : aux USA, société de libre-échange, il y a beaucoup moins de réglementation. En Europe (Allemagne, Suisse, Espagne) des sociétés envoient des brochures et des kits aux obstétriciens de ville pour la gestion de l’envoi de ces prélèvements.

(R3) : s’agissant de la position des sociétés savantes, aux USA, elles sont d’accord pour les aneuploïdies et sont plus réservées pour les micro-délétions (qui relèveraient plus de la recherche que du diagnostic). D’autres pays estiment que si on est capable de faire ces tests, il faut les faire.

Dominique Porquet (Q) : faut-il faire ces tests sur une population sélectionnée ou plus directement sur la population générale ?

(R) : il faut les effectuer sur une population sélectionnée pour deux raisons : la première, médicale, car la valeur prédictive positive (VPP) est meilleure sur une population ciblée qu’en population générale ; par conséquent, on risquerait de proposer, à tort, une amniocentèse à des femmes qui ont très peu de risque de porter un enfant atteint de trisomie 21. La deuxième raison est économique et rend intenable pour la société la prise en charge de la détection sur les 800 000 femmes potentiellement concernées, le coût d'un test étant de 390 €.


« L’exploration du génome viral en pratique hospitalière »

Pr Astrid Vabret, Professeur des Universités ; Praticien Hospitalier PU-PH, CHU de Caen ; Université de Caen Normandie

Diapositives présentées

En pratique hospitalière, les laboratoires de virologie ont comme objet d’étude les virus dits « d’intérêt médical », c’est-à-dire les virus responsables des infections / maladies chez les patients pris en charge en milieux de soins. Jusque dans les années 1980, ces virus étaient détectés en utilisant des techniques dites conventionnelles, constituées essentiellement de la culture cellulaire et de la détection antigénique. Les laboratoires de virologie ont ensuite connu un essor remarquable à la fois du fait de l’émergence du virus de l’immunodéficience humaine (HIV) et de l’utilisation des techniques de biologie moléculaire permettant la détection des génomes viraux. Ces techniques ont d’abord été utilisées comme « techniques maisons », puis l’industrie du réactif a développé et mis à disposition un nombre grandissant de trousses de plus en plus performantes en termes de sensibilité, spécificité, et en termes de robustesse (automation, contrôles de qualité). En parallèle avec l’amélioration des techniques utilisées en pratique de routine dans les laboratoires, on note une grande avancée des connaissances sur la physiopathologie des infections virales (sites de multiplication virale, tropisme, voies d’excrétion, modes de transmission).

Actuellement, les tests de biologie moléculaire représentent la majorité des tests réalisés (60 à 70 % de l’activité) en routine. Ils permettent le diagnostic virologique des infections aiguës (techniques qualitatives), le suivi des infections chroniques ou des infections latentes / récurrentes (techniques quantitatives), la recherche et la caractérisation des virus circulants et des virus mutants résistants apparaissant sous pression thérapeutique (génotypage, séquençage). Tous ces tests de biologie moléculaire ont connu des améliorations constantes permettant des rendus de résultats de plus en plus rapides (automatisation de l’ensemble des étapes, y compris l’extraction des acides nucléiques, tests « sample to result »), précis (techniques dites multiplex permettant un diagnostic infectieux syndromique), et réalisables sur un nombre important de matrices (échantillons cliniques).

Ainsi, après une séparation historique entre les laboratoires de virologie et bactériologie, la tendance actuelle est la réunification avec mutualisation de ces deux disciplines microbiologiques, dont les activités hospitalières sont désormais quasi équivalentes dans la plupart des hôpitaux hospitalo-universitaires. En effet, la patientèle des laboratoires de virologie s’est considérablement élargie au fur et à mesure de l’amélioration des soins : une grande partie des examens sont réalisés chez des patients immunodéprimés, dans l’incapacité transitoire ou définitive de contrôler la réplication ou la réactivation des virus les infectant de façon aiguë ou chronique. Il faut souligner que la plupart de ces examens de biologie moléculaire sont encore hors nomenclature et sont à la charge des hôpitaux, limitant ainsi leur diffusion vers le secteur privé. L’automatisation permet désormais de simplifier de façon importante les habilitations techniques, cependant les limites de tout ce progrès technologique sont sans doute d’une part, l’interprétation biologique, et, d’autre part, les questions soulevées par l’abondance des données. Un des exemples les plus flagrants est l’importance des co-détections virales dans certaines situations cliniques, comme les infections respiratoires aiguës, et notre incapacité actuelle de différentier coinfections et infections séquentielles. Les mêmes problèmes d’interprétation se posent avec l’arrivée du séquençage de génomes complets, ou du séquençage profond. Enfin, l’exploration du génome viral en pratique hospitalière s’oriente vers la mise en place de plateformes de métagénomique virale, devant permettre le développement d’une médecine dite personnalisée, et également la recherche d’agents pathogènes sans a priori pour les situations cliniques d’allure infectieuse restant inexpliquée.

Questions - réponses - Commentaires

Jean-Gérard Gobert (Q) : 1. comment est vécue l'accréditation dans les laboratoires de virologie hospitaliers ? 2. quelle est l'influence de l'arrivée des automates ?

(R1) : celle-ci ne pose pas de problème si elle est bien faite. Dans la mesure où elle est réalisée à moyens constants, il faut une bonne adhésion du personnel ainsi que des référents qualité qui doivent être pragmatiques sans être trop obsessionnels. La mise en place de l’accréditation est difficile mais elle rend des services et permet plus de traçabilité ; elle peut ressouder des équipes. De la même façon pour les contrôles effectués par le COFRAC, il faut des personnes raisonnables. Globalement, l’accréditation a demandé un bel effort mais l’expérience est positive.

(R2) : les automates ont été d'une grande aide. Il faut les choisir ainsi que les trousses associées. Des centres de référence les évaluent et recommandent l’utilisation des meilleurs. Dans le domaine de l'infectiologie, ils permettent l’obtention d'un suivi rapide pour des besoins de patients chroniques, sans pour autant être urgents (cancer, greffes etc.). Il y a un réel besoin à la fois pour diminuer les durées d'hospitalisation mais aussi en cas de patients infectés afin d’éviter le cycle de contamination d'autres patients. L'éducation des personnels est préoccupante et majeure ! Il n'y a à ce jour pas de prise de conscience suffisante ; le cas de la rougeole est emblématique sur ce point.

Liliane Grangeot-Keros (C) : pour la rougeole, malgré les campagnes de vaccination suite à l’épidémie de 2008-2012, on voit en 2017 resurgir des épidémies. Les lobbies anti-vaccins sont très puissants. Le problème est que pour contrer une réaction négative il faut le support d’au moins dix réactions positives !

(Q) : 1. quid des infections virales chez des sujets en bonne santé ? Y a-il des études comparant, en période hivernale par exemple, des personnes dites « bien portantes » avec des personnes malades présentant des signes respiratoires ? Quelle est la complexité des virus retrouvés au niveau naso-pharyngé ? 2. qu'en est-il du remboursement des actes de biologie moléculaire et notamment de la PCR multiplex ?

(R1) : le vrai sujet est celui de la détection du virus ou non. En dehors de rétrovirus endogène ou des virus qui infectent nos bactéries, un virus détecté signifie que la personne est infectée. Il faut donc distinguer l'infection de la maladie. Ce n’est pas parce qu’on n’est pas malade qu’on n’est pas infecté. Pour nous virologues, ce qui compte c'est de détecter le virus, car celui-ci peut engendrer des conséquences pour le patient en fonction de son polymorphisme génétique ainsi que de son état immunitaire. C’est notamment important en milieu hospitalier (hématologie, en médecine interne etc.). Un rhume banal peut décompenser un état pathologique sous jacent (diabète, insuffisance cardiaque).

(R2) : la plupart des tests de biologie moléculaire ne sont pas cotés sur la nomenclature et sont à la charge des hôpitaux. Pour cette raison il n'y a pas de fuite importante vers le privé. Dans le cas de la PCR Multiplex, les examens sont inscrits sur une nomenclature des actes innovants avec financement ministériel. Beaucoup d'études menées, notamment aux USA, au Canada, Australie, Pays-Bas, indiquent qu'une prise en charge globale coûte quatre fois moins cher avec un test rendu en 2 h par rapport à 19 h. En France, ces études médico-économiques sont beaucoup moins disponibles. Je reste persuadée que les diagnostics infectieux rapides sont essentiels, et aussi pour réduire la prescription d’antibiotiques. Les cliniciens s’occupent de la maladie et devraient s'occuper de l'infection. L’exemple pris pour les infections respiratoires est également transposable aux hépatites et aux infections par le VIH. Il y a un réel changement de paradigme à prendre en compte : un porteur sain peut infecter d’autres personnes.

Frédéric Éberlé (Q) : 1. vous avez signalé que plusieurs virus étaient souvent retrouvés dans des prélèvements d'infection respiratoire. Leur quantification serait-elle pertinente ? 2. vous avez bien montré le rôle clé des animaux dans l'expansion épidémique des virus, la virologie vétérinaire est-elle suffisamment développée ?

(R1) : depuis 1996 avec le VIH, on a commencé à quantifier. Également actuellement dans les infections chroniques, CMV, EBV etc. Avec des prélèvements respiratoires, cela pourrait être une solution. Les techniques Multiplex sont qualitatives. En parallèle, l’industrie du médicament est intéressée par la recherche de nouveaux médicaments. À titre d'exemple, pour les virus respiratoires, des anti-virus respiratoires syncytiaux vont arriver sur le marché. Il va donc s’agir dans le futur de proposer une conduite à tenir en cas de bronchiolite avec VRS et rhinovirus.

Également, dans les cas de chirurgie cardiaque froide chez l'enfant de moins de cinq ans, en hiver, il serait intéressant de disposer de ces dosages car tous sont quasiment infectés par un virus respiratoire, facteur d’insuccès de ces chirurgies. Je suis pour militer pour un diagnostic précis d’infection, mais pour les cas graves seulement.

(R2) : les vétérinaires comptent d’excellents virologues. Au niveau mondial, le concept « One Health » – la biologie intégrative- associant l’OMS, l’OIE (Organisation mondiale de la Santé animale) et la FDA recouvre les problématiques liées à l’homme, l’animal, l’environnement et les aliments.


« L’épidémiologie moléculaire en laboratoire de recherche en bactériologie : l’exemple de Escherichia coli »

Pr Érick Denamur, INSERM UMR_S1137 ; Universités Paris Diderot et Paris Nord

Diapositives présentées

Escherichia coli est une espèce bactérienne versatile qui est à la fois un commensal du tube digestif des vertébrés, une bactérie retrouvée dans l’eau et les sédiments et un redoutable pathogène intestinal (responsable de diarrhées) et extra-intestinal (responsable d’infections urinaires, de septicémies, de suppurations profondes et de méningites chez le nouveau-né). Cette bactérie autrefois sensible à tous les antibiotiques devient de plus en plus résistante.

L’épidémiologie moléculaire classique, et plus récemment l’utilisation du séquençage des génomes à haut débit, a montré une extrême diversité génétique des souches de l’espèce permettant une adaptation aux différentes niches. Ainsi, le génome d’un E. coli a un nombre de gènes variable entre 4 200 à 5 400 et le « pan-génome », soit l’ensemble des gènes de l’espèce, est de 20 000 gènes environ, autant que l’espèce humaine. De plus, il existe une adaptation importante par mutation/sélection des souches au sein d’un individu hôte.

E. coli est un exemple de la plasticité génomique des bactéries leur permettant de s’adapter constamment à un environnement toujours changeant.

Questions - réponses - Commentaires

Astrid Vabret (Q) : 1. pourquoi continuer à travailler sur des isolats, avec tous les biais de culture que cela représente, et non pas utiliser la métagénomique ? 2. étant donné cette incroyable diversité, comment choisir les prélèvements pour dire que la diversité est par exemple liée à une diversité géographique ? Sur la carte que vous avez montrée, vous aviez peut-être un prélèvement de végétarien ou de carnivore ? Demandez-vous conseil aux méthodologistes pour le choix des prélèvements ?

(R1) : oui, au laboratoire, si on repique les souches on sélectionne des mutants (ex de la sélection des mutations à rpoS qui est un régulateur du stress chez les bactéries). En repiquant des souches, on peut même obtenir un phénotype mutateur. Quant à la métagénomique, on n’isole plus les E. Coli et on séquence à haut débit pour faire la métapopulation.

(R2) : oui, il faut être aidé de méthodologistes et de statisticiens et nous avons montré que l'alimentation peut jouer un rôle important.

Claude Monneret (Q) : 1. existe-t-il d'autres bactéries évolutives comme E. Coli ? 2. l'évolution phylogénétique est liée au mode de vie et de l’alimentation mais qu'en est-il du rôle de l'environnement ?

(R1) : oui, il y a beaucoup d'autres bactéries se comportant comme E. Coli

(R2) : effectivement les pressions de sélection modulent les E. Coli qui survivent dans différents endroits ; il y a clairement une évolution et une adaptation au milieu qui suit le modèle de Darwin.

Alain Berdeaux (Q) : quel est le rôle des facteurs tels que l’hygiène, l’utilisation d'antibiotiques dans la différence de répartition géographique, en Afrique, …, des souches d’E. Coli ?

(R) : oui, les causes sont multifactorielles : l’environnement, l’alimentation, le mode de vie, etc.

Jean-Gérard Gobert (Q) : l'étude approfondie des génomes d’E. Coli d'un patient permet-elle d'affiner le diagnostic et donc l'éradication possible de sa pathologie ?

(R) : à l’heure actuelle, je pense que non ; toutefois, certains E.Coli peuvent s’avérer très dangereux ; dans ce cas il pourrait être fait des scores pronostiques et dire « attention cet E. Coli est mutateur » et dans certaines situations (ex : pyélonéphrite), hospitaliser le patient plutôt que de le renvoyer chez lui.


Conclusions de la séance

Frédéric Éberlé présente les conclusions de cette conférence ; il indique qu’elle fut passionnante et qu’elle a permis à tous d’apprécier les multiples intérêts de la biologie médicale, aux différents temps du parcours de soin du patient,  au dépistage, au diagnostic, pour établir le pronostic et en suivi thérapeutique. Il fut intéressant d'avoir pu aborder les différents aspects analytique, technologique, clinique, réglementaire, statistique, écologique, médical, éthique, virologique, pharmacologique et statistique, et médico-économique. 

Les intervenants méritent d'être remerciés pour leurs présentations claires et de haute scientificité.

 

 

Le Président Claude Vigneron lève la séance à 16 h 35.