Colloque hepta-académique

Une seule santé : les microbes et l'antibiorésistance en partage
Accueil par Pascale COSSART

Ouverture par Jean-Louis BEAUDEUX

INTRODUCTION

"Un monde, une seule santé : historique et développement", par Charles PILET


1ère session : DES RÉSISTANCES
Modérateurs : François BRICAIRE, Pascale COSSART

"Antibiorésistance : un bon exemple du concept une seule santé", par Vincent JARLIER

"Distribution des bactéries pathogènes de l'homme ou commensales dans l'environnement (sol, eau) et les agro-écosystèmes, émergence de résistances aux antibiotiques", par Alain HARTMANN

"Développement de résistances chez les animaux et les chez l'homme alors que l'antibiotique ne leur a pas été administré", par Jean-Yves MADEC

"Chez l'homme : cas particulier de la mélioïdose due à Burkholderia Pseudomallei", par Yves BUISSON

"Tracking des transferts de bactéries porteuses de résistances entre animal, homme et environnement", par Marie-Cécile PLOY


2ème session : DES ENVIRONNEMENTS
Modérateurs : Jean-Louis BERNARD, Michel POMPIGNOLI

"Les virus du chauves-souris et leur transmission à l'homme", par Éric LEROY

"Salive chez l'homme et l'animal", par Martine BONNAURE-MALLET

"L'anthropisation et les maladies à tiques : l'exemple de la borréliose de Lyme", par Nathalie BOULANGER

"Les microbes, marqueurs de la santé des océans", par Chris BOWLER

"La filière d'assainissement, quel rôle dans la lutte contre l'antibiorésistance ?", par Charlotte ARNAL


Conclusions par André JESTIN



 

 Sous le haut-patronage des Ministres en charge de la Santé, de l’Agriculture

 et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

 

Colloque hepta-académique

« Une seule santé : les microbes et l’antibiorésistance

 en partage »

 

Mercredi 15 juin 2022 de 8h30 à 17h15

 

dans les locaux de l’Académie d’agriculture de France, 18 rue de Bellechasse, 75007 Paris

 

PROGRAMME

 

Matinée (Vidéos de la séance)

Accueil à partir de 8 h 30 dans la salle des séances

9h00-9h05 : Discours de bienvenue de Pascale Cossart, Académie des Sciences au nom du Comité d’organisation

9h05-9h15 : Ouverture par Jean-Louis Beaudeux, Président de l’Académie nationale de Pharmacie

9h15-9h25 : « Un monde, une seule santé’ : historique et développements »

Introduction par Charles Pilet, membre de l’Institut, membre des Académies de Médecine, des Sciences, des Technologies, Vétérinaire de France

Les crises sanitaires récurrentes que nous venons de connaître lors de ces dernières décennies (Sida, ESB, SRAS, MERS, influenza aviaire hautement pathogène, Covid-19…) ont toutes des racines animales. Virus, bactéries et parasites respectent très peu les barrières d’espèce. Pour beaucoup de ces agents pathogènes il n’y a pas de frontière entre l’animal et l’Homme. C’est pourquoi, au fil des années l’idée s’est imposée d’un nécessaire rapprochement entre la santé de l’Homme et la santé animale.

Dès 1984, un épidémiologiste américain, Calvin Schwab évoquait l’idée d’une « One medicine ». Ce n’est que vingt ans plus tard qu’est apparue, toujours aux USA, la formule « One World, One Health ». En fait « Un Monde, Une Seule Santé » désigne un concept très vaste qui va au-delà du rapprochement de l’Homme et de l’animal et inclut l’environnement et ses nombreuses conséquences sur une santé globale. La première leçon de ce concept devrait nous permettre d’être à l’avenir mieux armés pour lutter contre l’apparition et le développement d’épidémies et de pandémies. Pour ce faire, un décloisonnement administratif s’impose. Il est basé sur plusieurs constats :

a)      l’origine animale des crises sanitaires ;

b)      l’absence de réponse des administrations aux alertes des scientifiques ;

c)      les errements du passé ;

d)      les recommandations des grands organismes internationaux (OMS, FAO, OIE, BANQUE MONDIALE).

Malheureusement, à quelques exceptions près, la situation en France évolue peu. Devant la surdité des administrations face aux avis des scientifiques, notamment en matière de formation et de recherche, il est apparu que seule l’expression d’une volonté politique à un niveau élevé avait quelques chances de faire évoluer cette situation.

C’est ainsi qu’il a été fait appel au Président de la République et au Premier Ministre. Des contacts ont été pris à plusieurs niveaux, pour tenter d’obtenir un changement. Ils se poursuivront après la période électorale.

Ce trop bref survol constitue la réponse à la demande qui m’a été formulée d’introduire en quelques minutes ce vaste concept « Un Monde, Une Santé ».

L’un des aspects importants de ce concept va être traité aujourd’hui : la résistance bactérienne aux antibiotiques.

 

1ère Session ‘Des résistances’

Modérateurs : François Bricaire (Anm), Pascale Cossart (AS)

Les conférences sont de 20 minutes suivies de questions/réponses de 5 minutes, l’échange de vues général ayant lieu en fin de session

« L’antibiorésistance : un bon exemple du concept une seule santé »

Vincent Jarlier, Professeur émérite de Bactériologie-Hygiène, Faculté de Médecine Sorbonne Université, membre correspondant de l’Académie nationale de médecine

Le concept « One Health » s’est nourri du constat que les maladies infectieuses à risque épidémique étaient liées à des relations entre les populations humaines et animales et l’environnement. De telles relations, déjà connues pour des infections bactériennes (salmonelloses, tuberculose, morve…) sont devenues aussi évidentes pour des infections virales émergentes (grippe aviaire, infections à coronavirus…). Le concept « Une seule santé » débouche sur une approche intégrée, systémique, donc pluridisciplinaire, des enjeux sanitaires. La résistance bactérienne aux antibiotiques, phénomène identifié dès le début de l’utilisation des antibiotiques en médecine humaine et animale, n’est certes pas une maladie, mais elle a des conséquences délétères directes sur les maladies infectieuses bactériennes en en compliquant le traitement. Lorsque le nombre d’antibiotiques encore actifs est très réduit (multirésistance, c.à.d. résistance associée à plusieurs antibiotiques) le risque est l’impasse thérapeutique, risque d’autant plus réel que le nombre de nouveaux antibiotiques n’a cessé de diminuer depuis les années 1980.

Le rôle joué dans le développement des résistances aux antibiotiques par les relations entre les populations humaines et animales et l’environnement est devenu de plus en plus évident. Ces relations concernent les deux facteurs principaux qui modulent l’amplitude de la résistance aux antibiotiques : l’utilisation des antibiotiques qui entraîne la sélection des bactéries résistantes (évolution darwinienne), en particulier dans les flores commensales (microbiotes) humaines et animales, puis la dissémination des bactéries résistantes ainsi sélectionnées.

En matière de pression de sélection par les antibiotiques, leur utilisation en santé humaine et animale est bien sûr clef, mais l’environnement peut aussi jouer un rôle par les résidus d’antibiotiques provenant des émonctoires des humains et animaux traités et les déchets de l’industrie des antibiotiques.

La dissémination des bactéries résistantes se fait directement d’individu à individu (de microbiote à microbiote) au sein des populations humaines et animales (« transmission croisée ») mais aussi indirectement par l’environnement, la dissémination se fait entre autres par les émonctoires humains et animaux qui sont évacués vers les eaux usées et par les résidus du traitement de ces eaux (aval des stations d’épuration) qui sont rejetés dans la nature. La dissémination des bactéries résistantes (et de leurs gènes de résistance) dans l’environnement permet leur retour vers les microbiotes intestinaux humains et animaux via l’alimentation. On peut mettre en évidence les chaînons de dissémination des bactéries résistantes par la recherche systématique de bactéries résistantes dans le microbiote intestinal des humains et des animaux et dans l’environnement. D’innombrables publications ont montré la présence de bactéries résistantes aux antibiotiques d’origine humaine et animale, ou de leurs gènes de résistance, dans de nombreux secteurs de l’environnement : eaux usées en aval des hôpitaux, des agglomérations humaines et des élevages ; stations d’épuration, voire eau de « réseau potable » dans certains pays ; rivières, lacs et océans ; animaux sauvages (mammifères, oiseaux, poissons …) vivant dans les, ou proches des, milieux anthropisés.

La dissémination des bactéries résistantes à travers l’homme, l’animal et l’environnement abouti à de véritables « épidémies souterraines » qui ne se révèlent que lorsque ces bactéries provoquent des infections chez l’homme ou l’animal.

La menace d’une ère post-antibiotique doit être intégrée à la liste d’autres grandes menaces écologiques qui s’inscrivent dans le registre « Une seule santé » que sont le réchauffement de la planète, la pollution des eaux et la réduction de la biodiversité. La sauvegarde de l’activité des antibiotiques est donc bien un sujet de développement durable.

« Distribution des bactéries pathogènes de l’homme ou commensales dans l’environnement (sol, eau) et les agro-écosystèmes, émergence de résistances aux antibiotiques »

Alain Hartmann, Directeur de Recherches, INRA, UMR Agroécologie, Microbiologie environnementale et risque sanitaire, Dijon

Des bactéries commensales ou pathogènes de l’Homme, parfois résistantes aux antibiotiques ainsi que des micropolluants, comme les résidus de produits pharmaceutiques, sont quotidiennement rejetés dans l’environnement par l’intermédiaire des systèmes de traitement des eaux usées urbaines ou industrielles et par certaines pratiques agricoles en particulier l’amendement des sols avec des produits résiduaires organiques (PRO). Les sols et les milieux aquatiques qui abritent des communautés de microorganismes extrêmement diversifiées et très abondantes (jusqu’à 1010 bactéries par gramme de sol) peuvent constituer un réservoir pour ces bactéries et ces gènes de résistance (et de virulence) et induire un risque de contamination des productions agricoles et donc un risque sanitaire pour l’Homme et les animaux.  La production d’antibiotiques par des bactéries ainsi que les mécanismes de résistance à ces antibiotiques sont des mécanismes naturels qui existent dans les sols, ils sont impliqués dans la compétition entre microorganismes. Les sols sont donc un réservoir potentiel de bactéries résistantes aux antibiotiques (BRA) et de gènes de résistance aux antibiotiques (GRA). Ce pool de gènes de résistance des sols est appelé le résistome des sols. Il constitue un réservoir de GRA potentiellement transmissibles aux agents pathogènes de l’Homme et des animaux. Plusieurs pratiques agricoles peuvent conduire à l’introduction de BRA et de GRA dans les sols : i) l’amendement des sols avec des produits résiduaires organiques (PRO), qu’ils soient d’origine urbaine (boues issues du traitement des eaux usées, compost d’ordures ménagères …) ou agricole (fumiers, lisiers, digestats …) ii) l’irrigation des cultures ou des parcs avec des effluents de station d’épuration des eaux usées (REUSE). Ces PRO ou ces effluents liquides contiennent de plus des résidus d’antibiotiques (et d’autres produits pharmaceutiques) non dégradés lors des traitements de ces déchets. Ces polluants peuvent induire l’émergence ou la sélection de nouveaux gènes ou mécanismes de résistance dans les sols.  L’enrichissement des sols agricoles ou des sols urbains (utilisés pour des activités récréatives) en bactéries résistantes aux antibiotiques et en GRA peut induire des risques pour la santé : i) risque de contamination des productions végétales ou des animaux, ii) risque de contamination des ressources en eau (par ruissellement ou par lessivage des sols contaminés). Le risque de transfert de GRA émergents vers des pathogènes humains par transfert horizontal de gènes (HGT) sera maximum dans des zones où coexistent les gènes de résistance, les pathogènes et les résidus médicamenteux qui constituent la pression de sélection. Pour limiter ces risques ; il est nécessaire d’atténuer la contamination des sols en appliquant des traitements supplémentaires aux PRO ou effluents avant épandage sur les sols (compostage, ozonation, désinfection par les UV ou désinfection thermique). L’exposé visera donc à définir les paramètres qui vont influencer la survie des BRA et la persistance des GRA dans les sols, mais aussi à déterminer l’impact des BRA et des résidus d’antibiotiques sur le résistome des sols, et finalement à définir des moyens d’atténuation de ces risques.

 « Développement de résistances chez les animaux et chez l’Homme alors que L’ANTIBIOTIQUE NE LEUR A PAS été administré »

Jean-Yves Madec, Directeur de recherches, Chef d’unité, Anses Lyon, Directeur scientifique de l’axe Antibiorésistance de l’Anses, membre de l’Académie vétérinaire de France

Les politiques publiques de lutte contre l’antibiorésistance dans le secteur animal au cours des dix dernières années en France (plans Ecoantibio) ont porté leur principal angle d’action sur la meilleure maîtrise de l’usage vétérinaire des antibiotiques. Des résultats très importants ont été obtenus, dont une réduction d’environ 50 % de l’exposition des animaux aux antibiotiques (tous antibiotiques confondus), et d’environ 90 % si l’on ne considère que les antibiotiques dits « d’importance critique » (AIC) pour l’Homme (céphalosporines de 3ème et 4ème générations et fluoroquinolones). Cet objectif de maîtrise de l’usage vétérinaire des antibiotiques s’est appuyé sur des dispositions incitatives mais également réglementaires, contraignant les vétérinaires à la réalisation d’un antibiogramme avant toute prescription d’un AIC et leur interdisant strictement l’emploi d’une longue liste d’autres antibiotiques utilisés en médecine humaine, tels que la vancomycine, le linézolide ou les carbapénèmes. Pour autant, plusieurs situations de terrain montrent que la résistance à un antibiotique chez un animal ne résulte pas nécessairement de son exposition au dit antibiotique. Des phénomènes de co-sélection peuvent d’une part être observés, qui relèvent en fait de l’administration d’un autre antibiotique. Mais lorsque les animaux n’ont pas reçu du tout d’antibiothérapie, ce sont davantage des évènements de transmission de bactéries résistantes qui sont à mettre en cause. A partir d’exemples choisis, l’exposé illustrera la détection d’antibiorésistance chez des animaux non directement exposés aux antibiotiques, tant dans le secteur des animaux de production que de celui des animaux de compagnie. Ces éléments montrent qu’en parallèle d’une attention sur la prescription des antibiotiques, un volet également important est de maîtriser les transmissions de bactéries résistantes. Des efforts sur la biosécurité en élevage ont été inclus dans les plans Ecoantibio, mais à l’évidence des marges de progrès subsistent, y compris au-delà des secteurs de production, et qui pourraient être renforcées dans un plan Ecoantibio 3.

« Chez l’Homme : cas particulier de la mélioïdose due à Burkholderia pseudomallei »

Yves Buisson, Professeur agrégé du Val-de-Grâce, membre de l’Académie nationale de médecine, membre associé de l’Académie nationale de Pharmacie

La mélioïdose est une maladie infectieuse tropicale, endémique dans ses foyers originels d’Asie du Sud-Est et du nord de l’Australie. L’agent causal, Burkholderia pseudomallei, est une bactérie saprophyte qui vit dans les sols humides, notamment dans les rizières. Elle s’adapte aux conditions environnementales hostiles telles que les variations de température et de pH, la salinité, le manque de nutriments, la présence de désinfectants ou d’antiseptiques. Elle est intrinsèquement résistante à de multiples classes d’antibiotiques (pénicillines, céphalosporines de 1ère et 2ème  générations, aminoglycosides, macrolides, rifampicine et polymyxines) et présente de fréquentes résistances acquises. Elle peut survivre dans différentes niches naturelles, s’agréger dans un biofilm protecteur ou parasiter des organismes vivants (amibes libres, plantes, champignons et animaux). L’infection humaine se fait par inhalation ou par inoculation. Elle est opportuniste, liée à une exposition professionnelle ou accidentelle, souvent sur terrain prédisposé (diabète, cancer, alcoolisme). B. pseudomallei est une bactérie intracellulaire facultative qui possède d’exceptionnelles propriétés de virulence lui permettant de déjouer les défenses immunitaires de l’hôte, d’induire une infection invasive, aiguë, subaiguë ou chronique, ou de rester latente pendant des années. L’infection aiguë est bactériémique dans plus de 50 % des cas, souvent compliquée de choc, mais peut aussi se révéler par des abcès viscéraux, le plus souvent pulmonaires. Elle est mortelle dans 20 à 50 % des cas. Sa résistance naturelle, sa redoutable virulence chez l’Homme et des difficultés du traitement d’éradication par les antibiotiques, imposant un traitement prolongé de 3 à 6 mois, ont fait classer B. pseudomallei parmi les agents potentiels du bioterrorisme.

Pour le bactériologiste, c’est une curiosité exotique, mais aussi une énigme : comment une bactérie saprophyte, adaptée au milieu hydrotellurique bien avant son anthropisation, a-t-elle pu développer des capacités de survie, une plasticité et des facteurs de virulence qui lui permettent aussi bien de s’adapter aux stress environnementaux que de contourner les défenses immunitaires de l’hôte infecté et de résister à l’action des principaux antibiotiques utilisés en thérapeutique ?

 

 

« Tracking des transferts des bactéries porteuses de résistances entre animal, homme et environnement »

Marie-Cécile Ploy, Professeur de microbiologie, Chef du service de Bactériologie-Virologie-Hygiène, CHU Limoges, Directrice Unité INSERM 1092 RESINFIT, Université de Limoges, membre de l’Académie vétérinaire de France

Ces dernières années, la résistance aux antibiotiques s’est érigée comme l’un des enjeux majeurs de Santé publique.

Lutter efficacement contre l’antibiorésistance nécessite une approche « One Heath » globale et coordonnée. En effet les gènes permettant de résister aux antibiotiques sont le plus souvent véhiculés par des éléments génétiques mobiles (plasmides, transposons, séquences d’insertions, cassettes d’intégrons, …) capables de se déplacer d’une bactérie à une autre par transferts horizontaux. Si les résistances sont capables de disséminer au sein des écosystèmes bactériens, les bactéries résistantes sont aussi elles-mêmes capables de disséminer entre les trois réservoirs : humain, animal et environnement. Les transferts de résistances entre l’homme et l’animal sont bien documentés. Ils peuvent se faire dans les deux sens à la faveur de contacts rapprochés entre l’homme et l’animal et dans le sens animal-homme via la chaine alimentaire. Par ailleurs, humains et animaux rejettent des bactéries dans l’environnement, via leur fèces notamment, faisant de ce dernier un immense réservoir de gènes de résistance. Quel que soit le réservoir considéré, la dissémination et la persistance des résistances sont d’autant plus facilitées par l’activité anthropique. L’utilisation abusive des antibiotiques en médecine humaine et animale ainsi que certaines pratiques agricoles et industrielles (rejets d’antibiotiques, biocides, métaux lourds, …) génèrent des pressions de sélection capables de sélectionner ou co-sélectionner les résistances. L’un des principaux enjeux pour suivre ces échanges est de favoriser le partage de données entre les acteurs du « One Health ». Il est donc indispensable d’être en mesure de croiser des données de surveillance humaines, animales et environnementales.

 

12h-12h15 Discussion générale

 

Pause déjeuner 12h15 à 14h00

 

Après-midi (Vidéos de la séance)

 

2ème Session ‘Des Environnements’

Modérateurs : Jean-Louis Bernard (AaF), Michel Pompignoli (ANCD)

Les conférences sont de 20 minutes suivies de questions/réponses de 5 minutes, l’échange de vues général ayant lieu en fin de session

 

« Les virus de chauves-souris et leur transmission à l’Homme »

Éric Leroy , Directeur de Recherche de classe exceptionnelle, UMR MIVEGEC (Université de Montpellier-IRD-CNRS), membre de l’académie nationale de médecine, membre de l’Académie vétérinaire de France

Mammifères nocturnes ailés, refuges rêvés et contrastés de nombreuses légendes et superstitions, les chauves-souris jouent un rôle primordial dans le fonctionnement de notre biosphère, notamment en participant à la régulation des populations d’insectes, à la pollinisation des plantes à fleurs ou encore à la dissémination des graines. Cependant, la perception de ces animaux aux yeux du monde a radicalement changé lorsque leur implication dans les épidémies meurtrières survenues ces dernières années a été mise en évidence. Depuis, une centaine de virus ont été détectés chez ces animaux, dont la plupart sont zoonotiques, un nombre bien plus élevé que chez toutes les autres espèces animales. Par ailleurs, il est intéressant de relever que 75 % de ces virus appartiennent aux quatre familles virales contenant les virus les plus dangereux connus à ce jour. Le virus de la rage (Rhadboviridae), hébergé par plusieurs espèces de chauves-souris insectivores, tue chaque année près de 60 000 personnes à travers le monde. Les coronavirus SARS-CoV-1, MERS-CoV et SARS-CoV-2 (Coronaviridae), transmis par des chauves-souris insectivores du genre Rhinolophe, ont été responsables d’épidémies de pneumonie à l’échelle mondiale. Les virus Hendra et Nipah (Paramyxoviridae), nichés au sein de chauves-souris frugivores géantes, causent régulièrement des épidémies d’encéphalite mortelle en Asie et Océanie. Enfin, les virus Ebola et Marburg (Filoviridae), ayant pour réservoir des chauves-souris frugivores, provoquent depuis 50 ans des flambées épidémiques de fièvre hémorragique à travers le continent africain. Même si une transmission directe à partir des chauves-souris est fortement suspectée, la contamination de l’Homme met généralement en jeu des espèces animales intermédiaires, sensibles ou asymptomatiques, qui jouent le rôle d’amplificateur ou de simple relais.

Ainsi, les chauves-souris sont considérées aujourd’hui comme des réservoirs particulièrement prolifiques de virus et des sources inépuisables de maladies et d’épidémies. Une telle prédisposition s’appuierait sur des caractéristiques génétiques, physiologiques et immunologiques exceptionnelles. Ainsi, innombrables espèces et grande diversité génétique (les chauves-souris représentent 20 % des mammifères), longévité, léthargie, vie grégaire au sein de communautés pouvant atteindre des milliers d’individus, métabolisme constamment élevé, défenses immunitaires innées hyperactives et infaillibles sont les principaux éléments de cet arsenal "bioécologique" leur permettant d’être fréquemment infectées, sur de longues périodes, et de maintenir la réplication virale à des niveaux suffisamment bas pour neutraliser la pathogénicité des virus. Le franchissement de la barrière d’espèce et la contamination de l’Homme seraient favorisés par la fragmentation de l’habitat de ces animaux, engendrée par des activités humaines incontrôlées et toujours plus intenses.

Dans ce contexte, l’abattage de ces animaux, aussi minime soit-il, s’avèrerait inefficace voire préjudiciable car il irait à l’encontre du fonctionnement de notre biosphère. La prévention des épidémies doit donc s’appuyer sur une approche d’écologie de la santé qui préconise une action globale, concertée et multidisciplinaire intégrant santé humaine, animale et des écosystèmes. Les stratégies devront donc se focaliser sur la gestion harmonieuse des facteurs de perturbation de l’écosystème (agriculture intensive, exploitation forestière et urbanisation), les modifications des habitudes alimentaires, la mise en œuvre de programmes de sensibilisation à l’égard des risques infectieux, et le renforcement des recherches sur le virome et le système immunitaire de ces animaux qui ne cessent de fasciner.

 « Salive chez l’homme et l’animal »

Martine Bonnaure-Mallet, Docteur en chirurgie dentaire - PU-PH-UFR Odontologie - Unité NuMeCAn Inserm 1241 – Université Rennes 1, membre de l’Académie nationale de Chirurgie dentaire

La salive est sécrétée par les glandes salivaires principales et accessoires. Elle charrie de nombreux éléments et particules d’origine endogène (cellules épithéliales desquamées, leucocytes, micro-organismes…) et exogène (débris alimentaires, micro-organismes…). La salive et le fluide gingival qui sourd dans l’espace dento-gingival ont de nombreuses fonctions, lesquelles restent assez identiques chez les différentes espèces animales, alors que les quantités sécrétées ne le sont pas (0,5 à 1 l /24h chez l’homme versus 60 l/24h chez le bovidé). Le débit et la composition du fluide buccal (ie : salive et fluide gingival) sont très variables en fonction de différents paramètres et/ou stimuli. Cependant, les microorganismes résidents qui vivent dans le fluide buccal, coexistent dans une relation symbiotique (eubiose). Le fluide buccal qui concentre environ 108 bactéries /ml joue un rôle dans l’adhérence bactérienne, mais a aussi un effet antimicrobien. Les perturbations du milieu buccal peuvent avoir des conséquences néfastes sur la composition du microbiote responsables de dysbiose. Bien qu’encore peu exploré, le résistome buccal montre que le fluide buccal concentre des gènes de résistance aux antibiotiques et que ceux-ci sont aussi présents dans la salive des animaux domestiques, et se retrouveraient sur les brosses à dents et dans l’environnement.

 

 

 « L'anthropisation et les maladies à tiques : l'exemple de la borréliose de Lyme »

Nathalie Boulanger, Directrice de recherche sur les tiques et maladies à tiques, Université de Strasbourg et Centre National de Référence Borrelia.

Les tiques sont en expansion dans de nombreux environnements suite à des modifications écosystémiques et socio-économiques majeures. Dans les zones tempérées de l’hémisphère Nord, ce sont surtout les tiques du complexe Ixodes ricinus qui impactent la santé humaine en tant que vecteur notamment de la borréliose de Lyme, première maladie vectorielle de cette zone géographique. Cette maladie est avant tout une zoonose où la bactérie Borrelia burgdorferi sensu lato, persiste principalement dans des réservoirs comme les rongeurs ou les oiseaux. Les cervidés, quant à eux, sont des hôtes essentiels pour le maintien des populations de tique Ixodes. L’homme, hôte accidentel pour cette tique strictement hématophage, est de plus en plus confronté à ses piqûres. La modification d’un certain nombre de pratiques humaines comme la chasse, la sylviculture et l’agriculture a fortement impacté les écosystèmes forestiers où évolue la tique, favorisant leur prolifération. La borréliose de Lyme a donc ré-émergé lentement depuis la fin du XXème siècle. Par une approche multidisciplinaire, une analyse fine des facteurs anthropiques qui affectent la vie de la tique et les agents pathogènes associés, devrait nous aider à définir et à établir une biodiversité où une co-habitation avec les tiques est possible.

 « Les microbes, marqueurs de la santé des océans »

Chris Bowler, Collège de France-coordinateur scientifique TARA océan, Directeur de recherche CNRS, membre de l’Académie d’agriculture de France

Dans le cadre du projet Tara Oceans, une équipe de chercheurs, internationale et multidisciplinaire, a cartographié la biodiversité d’un large éventail d’organismes planctoniques marins, exploré leurs interactions, ainsi que la façon dont ils agissent sur leur environnement et sont affectés par différentes variables, en particulier le changement climatique. Issues d’une partie des 35 000 échantillons collectés dans les océans de la planète durant l’expédition Tara Oceans (2009-2013), ces données constituent des ressources sans précédent pour la communauté scientifique, dont un catalogue de plusieurs millions de nouveaux gènes issus des organismes microscopiques, qui vont transformer la façon dont on étudie les océans et dont on évalue le changement climatique et l’impact de l’homme au sein des océans.

« La filière d'assainissement, quel rôle dans la lutte contre l'antibiorésistance ? »

Charlotte Arnal, PhD virologie moléculaire, expert en microbiologie environnementale, Véolia, Département des Expertises scientifiques & technologiques

Le périmètre de la présentation concerne les eaux usées municipales et industrielles, le traitement d’assainissement et hygiénisation des boues et l’épandage des résidus solides (lisiers, boues et fumiers). Les sources d'émissions de bactéries ou gènes de résistance aux antimicrobiens sont liées aux activités humaines qui se situent en amont des réseaux de collecte des eaux usées et pluviales (rejets urbains, rejets hospitaliers, rejets industriels, élevages). 

  • Ces effluents sont des réservoirs de bactéries antibiorésistantes du fait de la présence d’agents antimicrobiens résiduels, de bactéries pathogènes ou non, de gènes de résistance aux antibiotiques et de conditions favorables à leur survie.
  • Les stations d’épuration d’eaux usées, conçues notamment pour éliminer la charge organique avant rejet dans l’environnement, permettent néanmoins d’éliminer partiellement les bactéries et gènes de résistance : 1,5 à 2,5 log d'abattement des bactéries fécales E. Coli et entérocoques résistants. En termes de procédés unitaires de traitement, le rôle de “hot spot'' du traitement biologique dans la dissémination de l'antibiorésistance, fait encore débat. 
  • Les agents AMR peuvent aussi être transférés dans les boues d’épuration (urbaines ou industrielles), principal sous-produit d’une station d'épuration. Le compostage et la digestion anaérobie thermophile sont des procédés performants pour réduire significativement l'abondance des gènes AMR à hauteur de 84 et 98 % respectivement. Ainsi, même s'il est aujourd'hui difficile de conclure sur les efficacités des traitements des eaux usées en fonction de la typologie des procédés en place, une meilleure élimination est possible via la mise en œuvre de traitements tertiaires performants : filtration, procédés de désinfection (UV ou ozonation), ...
  • Il n’y a pas de réglementation spécifique ni de méthodes d'analyses normalisées pour la recherche des bactéries et des gènes de résistance aux antimicrobiens.
  • En conclusion, pour avancer sur le sujet, il nous semble nécessaire de :
    • réduire autant que se peut, à la source, le flux de produits pharmaceutiques, de biocides et désinfectants, afin de limiter la charge entrante sur les stations STEP ;
    • mieux évaluer le rôle des stations d’épuration dans la dissémination de l’antibiorésistance dans l’environnement, via des travaux de recherche,
    • promouvoir des filières de traitements plus performantes vis-à-vis des produits pharmaceutiques et des  bactéries, via notamment des traitements tertiaires  additionnels,

 

16h30-17h Discussion générale

 

17h-17h15 Conclusion par André Jestin, Président de l’Académie Vétérinaire de France, Vice-président de la FEAM