"Antibiotiques : pitié pour nos microbiotes!"
Académie d'Agriculture, Académie de Chirurgie, Académie de Chirurgie Dentaire, Académie de médecine, Académie de Pharmacie, Académie Vétérinaire, Académie de Sciences
« Antibiotiques : pitié pour nos microbiotes ! »
Séance thématique hepta-académique
Académie d’Agriculture de France, Académie nationale de Chirurgie, Académie nationale de Chirurgie Dentaire, Académie nationale de médecine, Académie nationale de Pharmacie, Académie Vétérinaire de France, Académie des Sciences
Sous le haut parrainage du Ministre des Solidarités et de la Santé et du Ministre de l’Agriculture et de l’alimentation Mercredi 16 juin 2021de 9h00 à 17h40 PROGRAMME
Matinée 9h00-9h05 : Accueil par Liliane Grangeot-Keros, Académie nationale de Pharmacie, au nom du Comité d’organisation - 9h05-9h15 : Ouverture par Céline Pulcini, Cheffe du Projet national Antibiorésistance, Ministère des Solidarités et de la Santé - 9h15-9h25 : Introduction par François Bricaire, Académie nationale de Médecine 1ère Session Modérateurs : Pascale Cossart (Académie des Sciences), Patrice Debré (Académie nationale de médecine), 9h30-9h50
Philippe Sansonetti, Professeur à l’Institut Pasteur, Professeur au Collège de France, Chaire de microbiologie et maladies infectieuses Les fonctions du microbiote
Pr Karine Clément, Médecin, endocrinologue, nutritionniste, service de Nutrition, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris ; Directrice de l’Unité INSERM/Sorbonne université : NutriOmique « Nutrition et Obésité : approches systémiques ». L'intestin humain abrite un système complexe et diversifié de micro-organismes mutualistes, composé de bactéries, de champignons, de virus, d'archées et de protozoaires. Ce riche écosystème contribue à un grand nombre de fonctions physiologiques : fermentation des composants alimentaires indigestes et synthèse des vitamines, défenses contre les agents pathogènes, maturation du système immunitaire de l'hôte et maintien de la fonction de barrière intestinale. Ainsi, le microbiote joue un rôle important dans le maintien de la physiologie et de l'homéostasie de l'hôte. Toutes les espèces bactériennes interconnectées dans l'intestin produisent un réservoir extrêmement diversifié de métabolites provenant de composants alimentaires exogènes non digérés et/ou de composés endogènes générés par les micro-organismes et aussi par l'hôte. Il convient de noter que, si les aliments sont généralement examinés en fonction des calories et des macro- et micronutriments, le métabolisme microbien reconnaît les molécules alimentaires et les transforme en métabolites. Cette « machinerie » métabolique s’étend à d’autres composés comme les molécules pharmacologiques. Ces métabolites microbiens produits sont des acteurs clés du dialogue entre l'hôte et le microbiote. L'effet bénéfique ou néfaste de métabolites spécifiques dérivés du microbiote dépend du contexte et de l'état de l'hôte, ce qui suggère qu'un microbiote symbiotique est primordial pour assurer une bonne santé optimale chez l'homme. Cette conférence se concentrera sur les résultats des études les plus significatives traitant du rôle des métabolites dérivés du microbiote dans les Maladies Métaboliques, en sélectionnant notamment des métabolites de choix.
Nadine Cerf-Bensussan, MD, PhD, Directeur de recherche, Laboratoire Immunité intestinale, Institut Imagine, Inserm 1163 Les travaux récents ont mis en lumière l’impact considérable des communautés microbiennes symbiotiques qui colonisent les différentes barrières de l’organisme sur la physiologie de leur hôte et notamment sur le système immunitaire. C’est plus particulièrement le cas du microbiote intestinal, qui se distingue par son importance et sa complexité avec plus de 1013 bactéries et archées, environ 1015 virus et de nombreux champignons et protistes. Le système immunitaire, au cœur des mécanismes d’homéostasie, s’appuie sur un ensemble complexe de composants innés et adaptatifs capables de répondre très rapidement à une large diversité de stimuli microbiens et environnementaux pour défendre ou restaurer l’intégrité des tissus. S’il reste difficile de démontrer le rôle vraisemblablement clé des microbes symbiotiques dans le développement du système immunitaire au cours de l’évolution, il est désormais clair que ces microbes exercent une profonde influence sur de multiples réponses immunitaires, agissant à la fois en début de vie pour initier et calibrer l’activation d’une immunité protectrice mais aussi tout au long de la vie pour stimuler ou moduler ces réponses. Dans une première partie de l’exposé, je résumerai brièvement le rôle du microbiote intestinal sur le développement de la barrière intestinale et la modulation des réponses immunes à distance de l’intestin, puis discuterai comment les modifications récentes de la composition du microbiote induits par les changements environnementaux peuvent altérer la calibration des réponses immunes et favoriser l’émergence de maladies dysimmunes. Dans une seconde partie, je décrirai les particularités du microbiote humain au cours des 1000 premiers jours de vie et discuterai comment la composition de ce microbiote peut influer sur le développement des réponses anti-infectieuses mais aussi sur le risque de maladies allergiques ou de maladies inflammatoires chroniques en soulignant les données qui, chez la souris comme chez l’homme, indiquent l’existence d’une fenêtre d’opportunité en tout début de vie pour une calibration optimale du système immunitaire. J’envisagerai ensuite brièvement les stratégies nécessaires pour préserver ou restaurer un microbiote néonatal favorable au développement harmonieux du système immunitaire.
Pascale Cossart, Professeur à l’Institut Pasteur, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences Les microbiotes protègent contre les infections, comme le démontre la sensibilité aux infections intestinales, de souris complètement dépourvues de microbiote intestinal. Les mécanismes qui régulent la capacité du microbiote intestinal à empêcher la croissance des pathogènes et à limiter l’infection sont divers et comprennent notamment la compétition pour les nutriments ainsi que pour les différentes niches intestinales, la sécrétion de composants antibactériens par les commensaux, par exemple des bactériocines, l’action directe ou indirecte d’autres composés tels que les acides gras à chaine courte et bien sûr la stimulation du système immunitaire. Des travaux récents montrent que certaines bactéries commensales jouent des rôles très précis qui seront évoqués. Les pathogènes utilisent différents mécanismes pour contrer tous ces mécanismes. Des interactions similaires prennent place sur la peau, dans le poumon et dans le vagin.
Gérard Eberl, Professeur à l’Institut Pasteur, Institut Pasteur, Inserm U122, Professeur Microenvironnement & Unité Immunité, Les systèmes immunitaires et nerveux réagissent aux perturbations aussi bien internes qu’externes à l’individu, dans le but de maintenir ou de ré-établir son homéostasie. Différents types de signaux, de cinétiques et de réseaux d’intégration régissent ces deux systèmes, qui sont donc largement complémentaires dans la réaction de l’organisme. Nous montrons que le cerveau réagit au stress chronique, au danger et à l’inflammation en modifiant la réactivité immunitaire et le microbiote symbiotique. En retour, le microbiote et la réactivité immunitaire ainsi modifiés vont réajuster la réaction du cerveau, établissant ainsi une causalité circulaire qui peut définir la santé ou la pathologie de l’individu.
2èmeSession
Modérateurs : Nathalie Kapel (Académie de Pharmacie) et Philippe Sansonetti (Académie des Sciences)
Étienne Ruppé, Maître de Conférence des Universités - Praticien Hospitalier à l'Université de Paris et au laboratoire de Bactériologie de l'Hôpital Bichat (AP-HP). Le microbiote intestinal est composé d'un très grand nombre de microorganismes (principalement des bactéries) dont l'une des propriétés est de s'opposer à la colonisation durable par des bactéries exogènes comme les bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Cette propriété est appelée effet barrière ou encore résistance à la colonisation. En effet chez les sujets non-exposés aux antibiotiques, les bactéries multirésistantes sont habituellement présentes à des concentrations faibles et la durée de leur portage est courte. Cependant en cas de prise d'antibiotiques, les concentrations de ces bactéries sont plus élevées, ce qui augmente le risque qu'elles puissent être présents dans des infections et qu'elles puissent être disséminées dans l'environnement. Les mécanismes sous-tendant l'effet barrière sont en train d'être caractérisés, notamment par l'apport du séquençage à haut-débit qui permet d'étudier avec précision les populations intestinales. La meilleure compréhension de ces phénomènes ouvre un nouveau champ d'applications pour lutter contre l'antibiorésistance, comme la transplantation de microbiote fécal, l'utilisation de probiotiques ciblés ou encore l'inactivation colique des antibiotiques.
Arlette Laval, Docteur vétérinaire, agrégée de médecine des animaux d’élevage. Expert honoraire près la Cour d’Appel de Rennes, membre de l’Académie Nationale d’Agriculture de France et du groupe de veille hepta-académique sur l’antibiorésistance Les premières études portant sur les effets des antibiotiques sur le microbiote en santé animale concernaient les antibiotiques régulateurs de flore ou facteurs de croissance. Leur utilisation s’est développée à partir des années 50 aux USA puis en Europe. Les doses utilisées étaient 10 fois inférieures aux doses thérapeutiques mais ils étaient donnés pendant toute la durée de la période d’élevage. Ils agissaient en réorientant les fermentations digestives. On considérait que ces doses inférieures aux CMI des bactéries impactées, n’induisaient pas de résistance. Mais en 1996 la crise de l’avoparcine qui met en évidence un gène de résistance commun à cet antibiotique, utilisé exclusivement en alimentation animale et à la vancomycine, antibiotique de dernier recours en médecine humaine. A titre thérapeutique, l’utilisation des antibiotiques par voie orale est largement utilisée dans beaucoup d’espèces animales, mais elle est totalement déconseillée chez les ruminants sevrés, le cheval et le lapin dont les compartiments digestifs sont très sensibles aux déséquilibres microbiens. Les travaux actuels portent sur toutes les espèces d’élevage et sur les animaux de compagnie. Ils sont plus nombreux chez le porc, une espèce très sensible aux troubles digestifs au début de la période d’élevage qui nécessite traditionnellement un recours conséquent à l’antibiothérapie, par voie orale mais aussi par voie parentérale. Ils ciblent surtout Escherichia coli, mais certaines bactéries Gram positif, des spirochètes et Lawsonia intracellularis, une petite bactérie intracellulaire responsable d’entérites hémorragiques, sont également concernés. Les études portent sur la modification du microbiote, la sélection de souches résistantes, en particulier vis-à-vis des antibiotiques critiques utilisés par voie orale ou parentérale, les conséquences du traitement de la truie sur le microbiote et la structure de la muqueuse intestinale du porcelet et même sur sa réponse immunitaire. Chez les carnivores, le chien en particulier, quelques travaux portent sur les conséquences de l’usage du métronidazole et des macrolides, et leurs conséquences à long terme sur le microbiome. Les conséquences de la présence de bactéries porteuses de gènes de résistance dans les effluents d’élevage sont également un sujet de préoccupation.
- Conséquences de l’antibiothérapie chez l’être humain
Julio Aires, Professeur de Microbiologie, UMR S-1139 (3PHm), FHU PREMA, Faculté de Pharmacie de Paris, Université de Paris D’après le concept de l’origine développementale de la santé et de maladies (« DOHaD », pour developmental origins of health and disease), la période des 1000 premiers jours de vie (de la conception aux deux premières années de vie après la naissance) est déterminante pour le développement de l’enfant et la santé de l’adulte qu’il deviendra. Ce concept inclut l'établissement du microbiote et en particulier le microbiote intestinal qui joue de multiples rôles biologiques. La période périnatale représente chez l’être humain la première fenêtre d’exposition aux antibiotiques pouvant aboutir à une dysbiose avec des conséquences santé à court et long terme.
Antoine Andremont, Professeur émérite, Fondateur de DaVolterra Durant les antibiothérapies tant orales que parentérales, les microbiotes intestinaux sont exposés à des quantités massives d’antibiotiques qui provoque une profonde dysbiose. Celle-ci peut engendrer des conséquences aigues (Infections à bactéries résistantes dont C. difficile) parfois dramatiques, mais aussi à long terme (obésité, asthme) qui sont de mieux en mieux connues. Aussi certains traitements anticancéreux en plein développement pourraient voir leur efficacité diminuée après antibiothérapie, en raison de la dysbiose. Des sociétés innovantes apportent des solutions possibles à cette question mais les difficultés réglementaires en rendent l’accès au marché encore problématique.
Vincent Meuric, PU-PH en sciences biologiques -Praticien hospitalier, Université de Rennes 1 - CHU de Rennes La cavité buccale présente une multitude de microbiotes. Ces microbiotes sont influencés par notre alimentation, l’hygiène bucco-dentaire mais également l’hôte lui-même. Deux microbiotes buccaux sont particulièrement étudiés, celui responsable des caries dentaires qui est directement influencé par des apports nutritionnels répété et trop riche, et le microbiote parodontal qui répond à l’hygiène bucco-dentaire mais également à l’état inflammatoire du patient, c’est le microbiote impliqué dans les parodontites. Naturellement, c’est l’hygiène alimentaire et l’hygiène bucco-dentaire qui réguleront la pathologie carieuse, et les antibiotiques ne sont jamais prescrits pour traiter cette dernière. A l’opposé, dans les parodontites, la prescription d’antibiotique est fréquente. Cependant, les études ne montrent pas d’efficacité de ceux-ci après plusieurs semaines sur ce microbiote parodontal résilient. Nous allons ainsi nous intéresser à ce qui influence ce microbiote parodontal. Comment est-il défini chez un individu sain, et comment évolue-t-il dans le cadre du développement inflammatoire concomitant à la parodontite. Ainsi, nous développerons l’exemple de l’hémochromatose dans la surcharge en fer qui influence le microbiote parodontal sous gingival. Enfin, nous aborderons les perspectives de recherche sur les microbiotes buccaux. - Prévention, restauration des microbiotes
Philippe Marteau, PU-PH, Gastroentérologue, APHP. Sorbonne Université Le grand public accueille favorablement les idées de protéger son microbiote intestinal et de « probiotiques ». Les scientifiques sont parvenus à la définition consensuelle, « micro-organismes vivants qui, lorsqu'ils sont ingérés en quantité suffisante, exercent des effets positifs sur la santé, au-delà des effets nutritionnels traditionnels » Les consommateurs et professionnels de santé ne disposent en général pas d’information fiable pour savoir si un aliment ou complément alimentaire peut (ou non) être utile. Les législateurs doivent respecter la règle intangible que « toute substance présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies … ou visant à restaurer, corriger ou modifier des fonctions physiologiques en exerçant une action pharmacologique, immunologique ou métabolique…. » est par définition un médicament (et doit se soumettre aux règles de développement de ces produits). Alors que des études sérieuses montrent l’efficacité clinique de quelques (assez rares) produits (étudiés « comme des médicaments »), il est difficile de le faire savoir et de dénoncer « seulement » les nombreux produits n’ayant fait l’objet d’aucune étude chez l’homme. Mon exposé apportera les éléments de preuve que : Certains produits et micro-organismes (alimentaires ou compléments) ont une efficacité prouvée selon les règles de l’evidence based medicine. Certains parmi eux font l’objet de recommandations d’utilisation par des sociétés savantes dans 4 domaines : amélioration-prévention des troubles liés aux antibiotiques et infections par Clostridium difficile, gastroentérites aigues, syndrome de l’intestin irritable et inconfort digestif et certaines maladies inflammatoires chroniques de l’intestin Les professionnels de santé devraient connaitre les recommandations et participer à l’éducation. Des effets biologiques peuvent différer entre deux souches appartenant à la même espèce Certains produits n’ont fait l’objet d’aucune étude chez l’homme et ont une qualité insuffisante.
Nathalie Rolhion, Chargée de recherche INSERM UMR S 938, Centre de Recherche Saint-Antoine, Equipe « Microbiote Intestin et Inflammation », Le microbiote intestinal se définit comme l’ensemble extrêmement varié et complexe des microorganismes contenus dans l’intestin. En quelques années, les connaissances sur le microbiote intestinal ont enregistré un essor exponentiel, non seulement sa description, mais aussi ses fonctions physiologiques (digestion, métabolisme, immunité et neurologie). Des dysbioses (altérations qualitatives, quantitatives et fonctionnelles) ont été décrites dans de nombreuses pathologies et particulièrement au cours des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) et des troubles du métabolisme. Le rôle du microbiote est de plus évoqué dans de nombreuses maladies psychiatriques et neurodégénératives. Cependant, le lien entre microbiote intestinal et santé humaine est encore majoritairement basé sur des corrélations, et des études fonctionnelles sont nécessaires afin de mieux comprendre ce lien et de pouvoir proposer des thérapies efficaces et potentiellement personnalisées, ciblant le microbiote intestinal. Parmi les stratégies pouvant être utilisées pour restaurer l’équilibre du microbiote intestinal, nous discuterons aujourd’hui de la transplantation de microbiote fécal (TMF). La TMF consiste à administrer une préparation de matière fécale issue d’un sujet sain à un patient atteint d’une pathologie liée à une altération du microbiote intestinal, en vue d’exercer des effets thérapeutiques. Au cours de cette présentation seront exposés l’historique de la TMF, son succès spectaculaire pour le traitement de l’infection récidivante à Clostridiodes difficile, les premières données encourageantes pour d’autres pathologies (notamment les MICI), son potentiel comme outil de découverte mécanistique, les interrogations autour de cette pratique et son futur.
Aurélien Dinh, infectiologue, chef du service de maladies infectieuses et tropicales, hôpital Raymond Poincaré, Garches, APHP, université Paris Saclay Il est impliqué dans plusieurs projets de recherche clinique visant à limiter l’émergence de bactéries résistantes notamment en réduisant la durée de traitement antibiotique mais aussi en s’intéressant aux préventions non antibiotique comme la transplantation de microbiote fécal. - 17h20-17h35 Conclusions par Anne-Claude Crémieux, Professeur Université de Paris, Hôpital Saint Louis, Académie nationale de médecine - 17h35 Clôture de la séance hepta-académique par Jean-Pierre Jégou Président de l’Académie Vétérinaire de France et annonce du Colloque 2022
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