Séance thématique

"Allergies alimentaires"

Introduction par Isabelle Momas et Frédéric de Blay

"Les allergies alimentaires : des mécanismes physiopathologiques au diagnostic et à l'épidémiologie" par Jocelyne Just

"Les allergènes alimentaires : structures et propriétés" par Karine Adel-Patient

"Le Syndrome d'Entérocolite Induite par les Protéines Alimentaires (SEIPA) par Étienne Bidat

"La prise en charge des allergies alimentaires à l'école : Projets d'Accueil Individualisé et adrénaline" par Guillaume Pouessel

Table ronde "L'allergie alimentaire : un nouveau défi pour le pharmacien", animée par Frédéric de Blay et avec la participation d'Antoine Deschildre, d'Anne-Sophie Malachane, de Pascale Couratier et de Philippe Imbert

 

 « Les allergies alimentaires »

Séance thématique

https://youtu.be/wGdlQXYZBSo

L’allergie alimentaire se définit par l’ensemble des réactions immunitaires anormales consécutives à l’exposition à une protéine alimentaire de nature animale ou végétale. Le mécanisme est principalement immunologique, IgE-dépendant et se traduit par une réaction d’hypersensibilité immédiate. Au cours de ces 20 dernières années les données épidémiologiques suggèrent une augmentation de la prévalence des allergies alimentaires, notamment chez les jeunes enfants. Il est constaté une augmentation des anaphylaxies sévères chez l’enfant, en particulier dans la tranche d’âge 0-4 ans. La prévalence de l’allergie alimentaire serait actuellement comprise entre 2 et 3% dans la population adulte européenne et nord-américaine et entre 5 et 8% chez l’enfant. L’allergie alimentaire s’exprime également différemment selon l’âge, avec une prépondérance relative du syndrome oral chez l’adulte et des manifestations respiratoires et digestives et de l’urticaire chez l’enfant.

 

D’importants progrès ont été faits dans la connaissance des structures moléculaires des allergènes alimentaires. Ainsi, depuis quelques années, nous connaissons les données structurales des allergènes majeurs des principaux allergènes alimentaires comme le lait, l’arachide, l’œuf, le poisson, le blé. Ces données structurales proviennent aussi bien d’études radio-cristallographiques ou par résonnance magnétique nucléaire que des modélisations moléculaires réalisées à partir de structures homologues disponibles. Ainsi, pour les allergènes alimentaires, il existe des familles allergéniques qui, selon leur structure, pourront être plus souvent responsables soit de syndromes oraux, soit d’anaphylaxies. La présence d’IgE vis-à-vis de certains allergènes moléculaires renseigne le clinicien sur la probabilité du tableau clinique.

 

Le Syndrome d’Entérocolite Induite par les Protéines Alimentaires (SEIPA) a été rapporté pour la première fois en 1967 par Grimovski et al. à propos de 21 enfants. Il s’agit d’une allergie considérée comme non IgE-dépendante médiée, d’expression exclusivement digestive caractérisée par des vomissements profus souvent associés à une diarrhée pouvant conduire à une déshydratation aiguë. Des formes aiguës et chroniques de SEIPA sont décrites. Dans les premières descriptions, ce tableau clinique n’était évoqué que chez l’enfant mais l’on sait désormais qu’il peut survenir également chez l’adulte. Son évolution est incertaine. Le plus souvent, l’enfant va guérir spontanément avec l’âge, sans avoir de séquelles ; toutefois des formes persistantes existent et sont de plus en plus nombreuses. La physiopathologie du SEIPA reste encore à élucider.

 

En France, des enquêtes en réanimation pédiatrique ont été réalisées entre 2003 et 2013, qui révèlent une augmentation de + 11% d’hospitalisations pour allergie grave. Parmi les 19 décès enregistrés pour allergie alimentaire dans le réseau d’allergo-vigilance en France entre 2002 et 2018, les ¾ concernent des enfants et 4 décès sont survenus à l’école ; tous étaient évitables.

En France, environ 50 000 projets d’accueil individualisé (PAI) ont été établis en raison d’une allergie alimentaire. Ce nombre a été multiplié par 6 en 15 ans depuis 2002. Les allergies alimentaires graves en milieu scolaire ont lieu, pour la plupart, lors de la restauration. Mais il n’existe pas d’enquête nationale sur les accidents allergiques à l’école. La mise en application de la réglementation qui nécessite de préciser la présence d’allergène alimentaire dans les aliments servis dans les cantines n’est pas toujours respectée. Enfin, la formation des enseignants, des infirmières d’éducation nationale et du personnel encadrant doit effectivement se mettre en place.

 

L’allergie alimentaire constitue un nouveau défi pour le pharmacien.

Un certain nombre d’industriels font état de la présence d’allergènes alimentaires selon les recommandations européennes (recommandations ACO) alors qu’ils ne sont pas présents dans leurs produits et d’autres n’affichent pas la présence de ces allergènes alors que les aliments en question en contiennent. C’est une difficulté pour les industriels de l’agro-alimentaire et de la grande distribution de savoir comment étiqueter les aliments pré-emballés, à la fois dans un esprit de santé publique mais également pour éviter d’éventuels recours. C’est pourquoi l’étiquetage de précaution présente des limites.

A côté de l’éviction des allergènes alimentaires, une désensibilisation peut être envisagée et cela fait partie des grands progrès des dix dernières années qui ont montré qu’il était possible de désensibiliser vis-à-vis des allergènes alimentaires les plus fréquemment en cause dans les anaphylaxies chez l’enfant, à savoir le lait et l’arachide. En ce qui concerne l’arachide, deux voies sont principalement proposées, soit épicutanée sous la forme de patch, soit orale sous la forme de poudre d’arachide. Les résultats obtenus dans les deux cas permettent une augmentation du seuil de réactivité. L’une des difficultés de ce type de traitement est sa tolérance.

Le pharmacien d’officine a un rôle essentiel dans la prise en charge de l’anaphylaxie d’origine alimentaire. En effet, c’est à l’officine que se délivre l’adrénaline auto-injectable et le rôle du pharmacien dans l’éducation du patient allergique et de son entourage est primordial.

En ce qui concerne le patient, l’éducation thérapeutique est essentielle dans la prise en charge de l’enfant présentant une allergie alimentaire, à la fois dans l’éviction mais aussi dans le traitement et les associations de patients sont partie prenante dans la mise en place des projets d’accueil individualisé à l’école.

14 h 00    Ouverture de la séance par Gilles Aulagner, Président de l’Académie nationale de Pharmacie

14 h 05    Introduction par Isabelle Momas et Frédéric de Blay, membres de l’Académie nationale de Pharmacie

 

Vidéo de l'introduction


14 h 10    « Les allergies alimentaires : des mécanismes physiopathologiques au diagnostic et à l’épidémiologie »

Jocelyne Just, Pneumo-pédiatre allergologue, Hôpital Trousseau, Paris

Diapositives présentées

Vidéo de la présentation

 

L’épidémiologie des allergies alimentaires (AA)  montre l’augmentation des formes graves notamment dans la population pédiatrique, avec une augmentation des anaphylaxies qui augmentent de 14 % entre 2007 et 2015 chez les enfants de moins de 10 ans, aux États-Unis. Des mécanismes physiopathologiques qui prévaut à l’augmentation de la prévalence des AA sont multiples : (1) L’ethnie, ainsi les populations transplantées aux États-Unis (noirs américains, asiatiques, hispaniques) ont plus d’AA que les blancs ; (2) la modification du microbiote intestinale en lien avec un mode de vie occidental va entraîner un déficit de tolérance immunitaire vis-à-vis de protéines inoffensives comme les aliments. La perte de biodiversité serait selon OMS  est responsable des modifications du microbiome qui augmente le risque allergique  (3)  Toujours en lien avec le mode de vie occidental «  l’augmentation de la mal bouffe » résultant de  l’augmentation d’une alimentation grasse et sucrée riche en viande cuite et fromage ou encore contenant des conservateurs présents dans des produits reconstitués va entraîner des modifications immunitaires qui favorisent les allergies ; (5) L’alimentation précoce et notamment la diminution d’allaitement maternel au profit de lait  artificiel augmenterait  encore le risque d’ AA. Le diagnostic d’une AA repose sur une histoire clinique, puis sur des tests cutanées allergologiques et des tests biologiques qui vont confirmer la nature IgE médiée de l’AA et éventuellement un test de provocation oral (TPO) qui reste le « Gold standard » pour le diagnostic de l’AA. Les aliments responsables d’AA,  le souvent rencontrés chez les enfants sont les fruits à coque, les légumineuses chez les enfants d’âge scolaire, le lait de vache, l’œuf et l’arachide chez les enfants d’âge scolaire. L’expression clinique des AA dépend de la dose réactogène, des cofacteurs (stress, effort, infection concomitante, médicaments), d’un asthme associé surtout s’il est non contrôlé. Les IgE spécifiques vis-à-vis d’allergènes recombinants vont orienter pour le diagnostic du phénotype de l’AA. Pour exemple le syndrome oral en lien avec des IgE vis-à-vis de recombinants de la famille des PR10, ou l’anaphylaxie potentiellement mortelle en lien avec des IgE vis-à-vis de recombinants de la famille des LTP ou de protéines de stockage. Actuellement les tests cellulaires comme le test de dégranulation des basophiles semblent également d’un aide diagnostic grandissante pour définir la sévérité d’une AA et éviter des TPO couteux, consommateurs de temps et potentiellement dangereux.  L’avenir du diagnostic d’AA est aux Omics et à l’intelligence artificielle de ces systèmes biologiques.

14 h 40    « Les allergènes alimentaires : structures et propriétés »

Karine Adel-Patient, PhD, HDR, Directrice de Recherches INRAE, UMR Université Paris-Saclay, CEA, INRAE Médicaments et Technologies pour la Santé, Responsable du Laboratoire d’Immuno-Allergie Alimentaire

Diapositives présentées

Vidéo de la présentation

15 h 05    « Le Syndrome d’Entérocolite Induite par les Protéines Alimentaires (SEIPA) »

Étienne Bidat, Pneumo-pédiatre allergologue, Hôpital Ambroise Paré, Boulogne

Diapositives  présentées

Vidéo de la présentation

Le syndrome d’entérocolite induite par les protéines alimentaires (SEIPA) est une forme peu connue d’allergie alimentaire non IgE médiée. Il est de plus en plus souvent retrouvé. Différents phénotypes sont possibles, aigu ou chronique, avec des sous-phénotypes. Le SEIPA ne se manifestant que par des diarrhées est possible. Les aliments en cause sont avant tout le lait de vache mais des aliments inhabituels en allergie alimentaire sont parfois retrouvés. La répartition des aliments à l’origine du SEIPA est variable suivant les continents.  En raison des multiples phénotypes des critères diagnostiques stricts sont à respecter. Ils ont été définis dans des recommandations internationales (en accès libre sur internet : http://www.jacionline.org/article/S0091-6749(17)30153-7/pdf). Si le patient ne répond pas aux critères diagnostiques définis, le test de provocation par voie orale (TPO) est indispensable afin d’éviter des régimes d’éviction prolongés inutiles et parfois délétères. Le TPO est pratiqué avec un protocole spécifique à cette pathologie, dans un encadrement hospitalier. Un diagnostic précoce évite des examens inutiles, il permet un traitement adapté lors de la prise accidentelle de l’aliment, il facilite le choix du moment optimal du TPO.  Le régime d’exclusion et l’éducation du patient et de sa famille sont les seuls traitements. Le TPO est indispensable pour suivre l’évolution et autoriser la reprise de l’aliment au domicile, quand il est négatif. Le SEIPA évolue le plus souvent vers la guérison, à des âges variables suivant les aliments, sans séquelle.

15 h 25    « La prise en charge des allergies alimentaires à l’école : Projets d’Accueil Individualisé et adrénaline »

Guillaume Pouessel, Pneumo-pédiatre allergologue, Coordinateur national des études sur l’anaphylaxie à l’école, CHU de Lille

Diapositives présentées

Vidéo de la présentation

En Europe, la prévalence de l’allergie alimentaire (AA) est estimée entre 6 et 8% des enfants. Les anaphylaxies, parfois sévères, surviennent dans 10-20% des cas en milieu scolaire et sont inaugurales de l’allergie dans 25-50% des cas. Dans le contexte de l’AA, le projet d’accueil individualisé (PAI) a pour buts de : identifier l’enfant à risque, prévenir l’exposition aux allergènes, mettre à disposition une trousse d’urgence avec auto-injecteur d’adrénaline (AIA) si le risque est avéré, savoir utiliser la trousse d’urgence et l’AIA en cas de réaction allergique. Le cadre du PAI s’appuie sur une circulaire interministérielle datant de 2003. Le nombre de PAI pour allergie augmente depuis plus de dix ans (environ 50000 PAI pour allergie/an). Une actualisation de la nouvelle circulaire portant sur l’organisation des soins et le protocole d’urgence en milieu scolaire est en cours de finalisation. La circulaire PAI doit permettre de modifier et uniformiser le cadre du PAI, en particulier pour les AA.

Si les recommandations des sociétés savantes ont permis l’harmonisation nationale des critères de mise en place des PAI pour AA, de la prescription des trousses d’urgence avec AIA, l’adrénaline reste sous-utilisée et certains établissements scolaires n’ont pas d’AIA à disposition. En 2019, le directeur général de l’enseignement scolaire a demandé l’équipement des établissements du second degré (collèges, lycées) en AIA et la promotion des actions de formation sur le thème des AA. Idéalement, ces dispositions devraient être évaluées à une large échelle et étendues aux établissements de premier degré, complétées par des actions de formation auprès des différents acteurs.

Les pharmaciens ont un rôle important à jouer dans la prise en charge des enfants avec une AA, notamment pour la mise à disposition des AIA prescrits aux patients les plus à risque, le conseil et l’information sur les AIA (maniement de l’AIA, modalités de conservation, précautions d’usage, respect de la péremption…). Le pharmacien est donc un acteur incontournable dans l’éducation thérapeutique du patient et doit renforcer les messages clés sur l’intérêt, l’efficacité et l’innocuité de l’adrénaline sous forme d’AIA dans l’anaphylaxie.

Table ronde : « L’allergie alimentaire : un nouveau défi pour le pharmacien »

Vidéo de la table ronde

Animateur : Frédéric de Blay, Président de la Fédération Française d’Allergologie, membre de l’Académie nationale de Pharmacie

Participants : Antoine Deschildre, Pédiatre (CHU de Lille), Anne-Sophie Malachane, Pharmacien officinal, membre de l’Académie nationale de Pharmacie, Pascale Couratier, Présidente de l’Association Française pour la Prévention des Allergies (AFPRAL), Philippe Imbert, Industriel, Ex-Directeur Qualité du Groupe Casino, membre correspondant de l’Académie d’Agriculture, section alimentation humaine