Séance thématique

"CRISPR-Cas 9 et ses applications dans le domaine de la santé : où en sommes-nous en 2020 ?"

INTRODUCTION

Christine CAPDEVILLE-ATKINSON et Michèle GERMAN

Modération :

Christiane FORESTIER, Éric PASMANT, membres de l’Académie nationale de Pharmacie
Jean-Yves LE DÉAUT, ancien Président de l’OPECST

EXPOSÉS

« La technologie CRISPR : avancées récentes et utilisation dans le développement des médicaments », Carine GIOVANNANGELI

« Les applications de CRISPR-Cas9 en cancérologie », Michel WASSEF

« CRISPR-Cas9 pour la microbiologie synthétique et la lutte contre l’antibiorésistance », Philippe GLASER

« Aspects éthiques : mettre en oeuvre une gouvernance internationale pour l'édition du génome humain », Hervé CHNEIWEISS

CONCLUSION, Alain PUISIEUX, Michèle GERMAN

 

« CRISPR-Cas 9 et ses applications dans le domaine de la santé : où en

sommes-nous en 2020 ? »

Séance thématique 

Mercredi 5 février 2020

 

Les modifications ciblées du génome ou « genome editing », ses apports dans le domaine de la santé, ses incertitudes et ses évolutions.

La recherche en biotechnologies a connu une avancée considérable depuis 2012, avec l’invention des techniques de modification ciblée du génome (genome editing). Jusqu’alors, les techniques induisaient des modifications, soit aléatoires (mutagenèse), soit associées à une introduction imprécise de matériel génétique (OGM végétaux et thérapies géniques). Les nouvelles biotechnologies, particulièrement la dernière génération d’entre elles, Crispr-Cas9 (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats – Crispr associated protein 9), permettent d’intervenir très précisément au niveau d’un ou plusieurs gènes spécifiques en les détruisant, en les inactivant, en les remplaçant par un gène sain de la même espèce ou en substituant un gène d’une autre espèce apportant une caractéristique intéressante recherchée.

Fruit de la recherche fondamentale, à partir du mécanisme de défense des bactéries contre les phages, Crispr-Cas9 associe un ciseau moléculaire à un guide ARN qui permet des modifications précises au gène près. Son fonctionnement a été publié pour la première fois en 2012 par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna [Science 2012 ; 337(6096):816-21].

Grâce à son efficacité, son universalité sur tous les types d’organismes vivants, sa facilité d’usage, sa rapidité de mise en œuvre et son coût modéré, cette biotechnologie a de nombreuses applications dans les domaines de la médecine, de l’agriculture, de l’industrie et de l’environnement : modifier les génomes, contrôler l’expression des gènes ou encore éliminer les bactéries dangereuses. Pour les nombreuses maladies dont les causes sont génétiques, « arranger » le génome constitue un espoir thérapeutique. Un antibiotique génétique 2.0 permettrait de traiter des infections à bactéries résistantes aux antibiotiques, mais aussi à recomposer le microbiote intestinal en éliminant les bactéries délétères. L’objectif majeur de la séance proposée est de réaliser l’analyse en 2020 de l’impact de CRISPR-Cas9 en santé humaine, en termes d’avancée diagnostique, thérapeutique et de développement de médicaments biologiques.

14 h 00 Ouverture de la séance par Patrick Couvreur, Président de l’Académie nationale de Pharmacie

14 h 05 Introduction par Christine Capdeville-Atkinson et Michèle German, membres de l’Académie nationale de Pharmacie

     Modération : Christiane Forestier, Éric Pasmant, membres de l’Académie nationale de Pharmacie, Jean-Yves Le Déaut, ancien Président de l’OPECST


14 h 15 « La technologie CRISPR : avancées récentes et utilisation dans le développement des médicaments » 

Carine Giovannangeli, Docteur au CNRS, Laboratoire Structure et Instabilité des génomes, CNRS-INSERM-Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris

Diapositives présentées

La technologie CRISPR permet une ingénierie rapide du génome dans de très nombreux systèmes biologiques, dans des contextes auparavant impossibles.

La modification de l’ADN par la technologie CRISPR passe par les mécanismes cellulaires de réparation des cassures : la réparation de type NHEJ, jonction d'extrémités non homologues qui peut induire des mutations et fonctionne bien dans presque tous les types de cellules, et la réparation dirigée par l'homologie (HDR) qui induit la modification précise de séquence mais est d’efficacité plus variable et souvent faible.

La présentation illustrera trois aspects : la génération de modèles cellulaires et animaux de maladies humaines, facilitant les études mécanistiques et physiopathologiques, ainsi que la découverte et la validation de stratégies thérapeutiques ; les essais cliniques en cours avec CRISPR-Cas pour traiter les troubles héréditaires et somatiques complexes, par exemple dans le domaine des maladies hématologiques héréditaires ; les développements récents pour améliorer l’efficacité et la spécificité de la technologie.

14 h 45 « Les applications de CRISPR-Cas9 en cancérologie » 

Michel Wassef, Directeur scientifique, Institut Curie

Du fait de sa simplicité et de son efficacité, la technologie CRISPR s’est imposée comme un outil incontournable dans la majorité des domaines de la recherche biomédicale. Son introduction en cancérologie offre de nombreuses possibilités, tant dans l’étude des mécanismes de l’oncogenèse que dans la mise au point de nouveaux types de traitement. J’aborderai les développements de l’outil CRISPR permettant 1- d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques dans les cancers au moyen de cribles à l’échelle du génome, 2- le développement de nouveaux modèles de tumorigenèse in vivo et ex vivo, notamment grâce à l’émergence des systèmes de culture de « mini-organes » et enfin 3- la mise au point de nouvelles approches qui visent à stimuler la réponse immunitaire contre le cancer.

Due to its simplicity and efficiency, CRISPR technology has established itself as an essential tool in most areas of biomedical research. Its introduction in oncology offers many possibilities, both in the study of the mechanisms of oncogenesis and in the development of new types of treatment. I will discuss the developments of the CRISPR tools allowing 1- the identification of new therapeutic targets in cancers by means of genome-wide screening, 2- the development of new in vivo and ex vivo models of tumorigenesis, in particular through the emergence of "mini-organ" culture systems and finally 3- the design of new approaches aimed at stimulating the immune response against cancer.

15 h 15  « CRISPR-Cas9 pour la microbiologie synthétique et la lutte contre l’antibiorésistance » 

Philippe Glaser, Responsable de structure, Institut Pasteur

Diapositives présentées

Les bactéries ont développé de multiples stratégies de défense contre leurs virus (les bactériophages) et contre l’invasion par de l’ADN étranger, en particulier les éléments génétiques mobiles (plasmides et transposons conjugatifs). Ces mécanismes ont été mis à profit pour développer des outils moléculaires qui ont révolutionné la biologie et les biotechnologies. Les enzymes de restriction, découvertes dans les années 70, coupent spécifiquement les ADN étrangers (l’ADN de la bactérie étant protégé par méthylation). Elles ont permis l’émergence du génie génétique. Bien plus récemment la découverte des systèmes CRISPR-Cas9 induisant une immunité acquise contre les éléments génétiques étrangers (phages et plasmides) ont considérablement facilité les manipulations génétiques des êtres vivants. La protéine Cas9 reconnait spécifiquement une séquence d’ADN grâce à un ARN guide codé par un spacer de la séquence CRISPR de la bactérie. Ce spacer a été capturé par la bactérie suite à une première attaque et lui apporte cette immunité acquise. Le système CRISPR représente une machinerie moléculaire remarquable par sa précision et la possibilité d’être programmée. Ces ciseaux moléculaires permettent de modifier pratiquement n’importe quelle position du génome d’organismes aussi divers que des parasites, des plantes et des animaux, en particulier de l’homme. Ils sont également utilisés pour manipuler les génomes bactériens à des fin de recherche et de biotechnologie. CRISPR-Cas9 peut être aussi dirigé contre des bactéries sélectionnées pour les éliminer en coupant leur chromosome. Cette stratégie permet, en particulier de cibler les souches bactériennes multirésistantes, par exemple pour décontaminer un patient avant une intervention chirurgicale. L’inactivation de l’activité enzymatique de la protéine Cas9 par mutation en fait une protéine qui se lie de manière spécifique à une séquence choisie du génome, pour, par exemple, modifier l’expression d’un ou de plusieurs gènes avec de nombreuses applications en biologie synthétique.

15 h 45 « Aspects éthiques : mettre en œuvre une gouvernance internationale pour l'édition du génome humain » 

Hervé Chneiweiss, Président du Comité d’éthique de l’INSERM

Diapositives présentées

L'application récente d'outils, tels que CRISPR-Cas9, pour modifier le génome humain dans le but de traiter ou d'éviter la maladie a mis en évidence la nécessité d'une surveillance rigoureuse dans ce domaine. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place un comité consultatif d'experts, multidisciplinaire et international, pour examiner les défis scientifiques, éthiques, sociaux et juridiques associés à l'édition du génome humain (cellules somatiques et germinales). Le Comité étudie la meilleure façon de promouvoir des pratiques transparentes et dignes de confiance et la manière de s'assurer que les évaluations appropriées sont effectuées avant tout transfert vers le patient. Le Comité travaille de manière consultative et s'appuie sur les initiatives existantes pour développer un cadre de gouvernance responsable et réactif pour l'application des technologies d'édition du génome à l'avenir. Il assure la liaison avec les autres organisations compétentes des Nations Unies  et d'autres agences internationales, et communique avec les académies des sciences et de médecine ainsi qu'avec d'autres organismes nationaux ou professionnels, des groupes de patients et des organisations de la société civile comme ARRIGE qui ont travaillé ou travaillent dans ce domaine. Le Comité a adopté cinq principes directeurs : a) transparence; b) accompagnement responsable de la science ; (c) inclusivité, (d) équité et (e) justice sociale. Depuis mars 2019, conformément aux recommandations du Comité, l'OMS a établi un registre de la recherche et du développement pertinents, y compris des efforts pour utiliser la plate-forme internationale de registre des essais cliniques de l'OMS; a lancé une consultation mondiale sur Internet et a tenu des auditions sur la gestion scientifique responsable et le dumping éthique. Le Comité estime que ceux qui tentent prématurément une modification du génome de la lignée germinale à fin de reproduction chez l'homme adoptent un comportement irresponsable et sans scrupules. Le Comité a commencé à explorer une gamme de scénarios pour mettre en évidence les principaux problèmes éthiques et juridiques, explorer les défis de la gouvernance et favoriser un plus grand engagement du public.

The recent application of tools, such as CRISPR-Cas9, to edit the human genome with the intention of treating or avoiding disease has highlighted the need for robust oversight in this area. The World Health Organization (WHO) has established a global, multi-disciplinary expert advisory committee to examine the scientific, ethical, social and legal challenges associated with human genome editing (both somatic and germline).  The Committee explores how best to promote transparent and trustworthy practices and how to ensure appropriate assessments are performed prior to any relevant work being undertaken. The Committee works in a consultative manner and build on existing initiatives to develop a responsible and responsive governance framework for the application of genome editing technologies going forward. It liaises with relevant UN and other international agencies, and communicate with Academies of Science and Medicine as well as with other national or professional bodies, patient groups and civil society organizations such as ARRIGE that have worked, or are working, in this area. The Committee adopted five guiding principles: (a) transparency; (b) the responsible stewardship of science; (c) inclusivity, (d) fairness and (e) social justice. Since march 2019 under the recommendations of the Committee, WHO established a registry of relevant research and development, including efforts to make use of WHO’s International Clinical Trials Registry Platform; launched a global internet consultation and made hearings on responsible scientific stewardship, on whistleblowing and ethics dumping. The Committee believes those who prematurely attempt human genome germline editing for reproduction are engaged in unscrupulous behaviour. These individuals risk a backlash, making it impossible for science to progress to the point where applications might proceed one day. The Committee began to explore a range of scenarios to highlight key issues, explore challenges to governance, and foster greater engagement.

16 h 15 Conclusion générale par Alain Puisieux, Directeur de l’Institut Curie, membre de l’Académie nationale de Pharmacie

Diapositives présentées

Clôture par Patrick Couvreur, Président de l’Académie nationale de Pharmacie