Repositionner le clofoctol contre la Covid-19

3 questions à ... Benoit Deprez.

 

Repositionner le clofoctol contre la Covid-19


1. Comment a-t-on découvert les propriétés inhibitrices du clofoctol sur la réplication
de SARS-CoV-2 ?

Le repositionnement de médicaments permet de raccourcir les étapes réglementaires du développement préclinique et de diminuer les risques d’échec en développement clinique. C’est dans un contexte d’urgence, dès le premier trimestre 2020, quand le SARS-CoV-2 a été isolé et que des conditions de culture in vitro ont été mises au point, que nous avons passé au crible, dans notre laboratoire de l’institut Pasteur de Lille, la chimiothèque assemblée par la société APTEEUS réunissant les principes actifs des médicaments déjà enregistrés dans une ou plusieurs régions.

Il s’agissait d'identifier les principes actifs présentant une activité antivirale contre le SARS-CoV-2 avec une puissance comparable à l’exposition obtenue à la posologie usuelle. Sur les 1 942 composés testés dans un modèle où l’effet cytopathique du virus est quantifié, 21 ont présenté une activité antivirale substantielle dans les cellules Vero-8 chez lesquels nous avons identifié un grand nombre de composés basiques qui agissent sur la voie d’entrée lysosomale, comme les dérivés de la chloroquine ou les psycholeptiques.

Mais c’est le clofoctol qui a fait l'objet d'une étude plus approfondie en raison de la persistance de son effet dans les cellules qui expriment la TMPRSS2 (contrairement aux composés basiques), de son profil de sécurité et de ses propriétés pharmacocinétiques favorables. En effet, la concentration maximale de clofoctol pouvant être atteinte dans les poumons humains est plus de 20 fois supérieure à l’IC50 mesurée contre le SARS-CoV-2 dans les cellules pulmonaires humaines in vitro. Des études cinétiques nous ont permis de constater que le clofoctol inhibe le SARS-CoV-2 à une étape postérieure à l’entrée du virus dans les cellules, comme les inhibiteurs de la protéase. Enfin, le traitement thérapeutique de souris transgéniques humaines porteuses du récepteur ACE2 a permis de diminuer la charge virale, de réduire l'expression des gènes inflammatoires et de diminuer la pathologie pulmonaire.


2. Quelles étaient les propriétés connues du clofoctol ?


Le clofoctol est un composé organique synthétique présentant une grande lipophilie, avec un logP supérieur à 6. Il est par conséquent peu soluble dans les milieux aqueux, ce qui nécessite des précautions particulières pour sa manipulation in vitro, mais il est très soluble dans les graisses, ce qui facilite sa formulation en suppositoire et lui donne, par cette voie, une grande biodisponibilité.

Il était commercialisé en France jusque 2005 sous le nom d’Octofene, à des doses allant de 100 mg à 750 mg, en vertu de ses propriétés anti-bactériennes, son fort tropisme pulmonaire, sa sécurité d’emploi et sa tolérance. Il n’est plus commercialisé à ce jour qu’en Italie. Nous avons montré qu’in vivo, dans plusieurs modèles, il possède un profil anti-inflammatoire qui pourrait expliquer son efficacité clinique dans les pneumonies d'origines communautaires.

3. Quel positionnement pour le clofoctol dans la prise en charge de l’infection par SARS-CoV-2 ?

Pour mettre à profit l’activité antivirale d’un médicament dans la prise en charge de la COVID-19, il faut l’administrer dans une phase où la réplication virale est la plus intense, c’est-à-dire très tôt, quand apparaissent les symptômes. À ce stade, même pour les personnes à risques, la probabilité d’évolution vers la forme grave est relativement faible et le médicament doit donc présenter un très bon profil de sécurité, permettant de l’utiliser pour une majorité de patients qui ne feront donc qu’une forme bénigne de la maladie.

Dans ce cadre, le clofoctol, avec le recul important dont nous disposons, présente un profil intéressant et l’essai clinique ambulatoire THERAPIDE, réalisé en double aveugle contre placebo, a ainsi été conçu pour mettre en évidence une baisse du risque d’hospitalisation des patients traités précocement.

Du fait d’une difficulté méthodologique particulière, à savoir l’identification des patients éligibles et leur recrutement, il a fallu faire appel aux laboratoires d’analyse médicale en ville, à des médecins investigateurs généralistes et à un centre d’appel dédié pour apparier médecins investigateurs et patients sur le territoire de l’essai. Par ailleurs, puisque le clofoctol a démontré in vivo un activité anti-inflammatoire, un autre essai pourrait être réalisé en vue d’un traitement plus tardif, au stade de pneumonie en milieu hospitalier (fièvre, toux, expectorations mucopurulentes, douleur thoracique pleurétique, dyspnée, crépitements ou respiration bronchique) dans le but d’éviter ou d’amoindrir l’orage cytokinique et d'améliorer le pronostic.