Séance bi-académique

Compte rendu et diapositives présentées


Avec l'Académie nationale de médecine

"Prescriptions hors AMM"

EXPOSÉS
"Prescriptions hors AMM. Position du problème : une situation complexe et non satisfaisante", Alain SAINT-PIERRE

"Les aspects médicaux de la prescription hors AMM : problèmes concrets et catégorisation", Yves JUILLET

"La prescriptions des médicaments en dehors de leur autorisation de mise sur le marché. Le cadre juridique français", Marie-Paule SERRE

"Pistes d'amélioration : les recommandations académiques", Gilles BOUVENOT

 

« Prescriptions hors AMM »

Séance bi-académique

Mercredi 14 novembre 2018 de 14 h 00 à 17 h 00

 

Pour l’obtention de l’AMM, la posologie et la durée du traitement sont définies à partir d’études cliniques effectuées sur une population standard or, dans la pratique, une partie des patients traités ne correspondent pas à cette population standard (exemple : personnes âgées polymorbides). Pour ces patients, la prescription hors AMM s’impose pour des raisons médicales de bon traitement du patient.

La prescription hors AMM peut aussi être utilisée dans des situations particulières : patients atteints de maladies rares, enfants, femmes enceintes…

La prescription hors AMM peut aussi reposer sur la simple conviction du médecin, sans preuve scientifique !

Les prescriptions hors AMM doivent clairement figurer sur l’ordonnance et, elles ne donnent pas lieu à un remboursement. En pratique, la mention hors AMM n’est souvent pas indiquée et le patient est remboursé.

Le problème tient au fait que le médecin doit prescrire le traitement le plus approprié pour le malade ce qui ne correspond pas toujours à la prescription dans le cadre de l’AMM.

 

14 h 00 Ouverture de la séance par

              Jean-Loup Parier, Président de l’Académie nationale de Pharmacie (introduction)

              Christian Châtelain, Président de l’Académie nationale de Médecine

14 h 05 « Position du problème : une situation complexe et non satisfaisante »

Alain Saint-Pierre, membre de l’Académie nationale de Pharmacie

Diapositives présentées

Les prescriptions hors AMM ne sont pas marginales. Elles représentent environ 20% des prescriptions. Beaucoup de prescriptions hors AMM sont injustifiées et inacceptables parce que dangereuses et sans nécessité. En revanche, certaines prescriptions hors AMM sont justifiées dans la mesure où les AMM n’ont pas été mises à jour et sont donc en décalage avec les données acquises de la science. Par ailleurs les AMM de certains médicaments ne sont pas adaptées à certaines populations de patients, notamment en pédiatrie.

Conscient de la nécessité pour le médecin de prescrire hors AMM dans certaines situations cliniques, le législateur a prévu de les encadrer, principalement par les Recommandations Temporaires d’Utilisation (RTU) qui valident les prescriptions non conformes à l’AMM pour certains médicaments pour une période de trois ans renouvelable. Par ailleurs, le médecin garde la possibilité de prescrire une spécialité hors AMM et hors RTU dès lors qu’il le juge indispensable au regard des données acquises de la science.

Cette situation n’est toutefois pas satisfaisante. Le très faible nombre de RTU octroyées par l’ANSM ne permet pas de répondre à beaucoup de situations cliniques pour lesquelles une prescription hors AMM est justifiée. De ce fait le médecin est contraint de prescrire hors AMM et hors RTU. Si, à l’hôpital, la commission médicale d’établissement en charge de la qualité permet de documenter le bien6fondé de la prescription hors AMM, le médecin de ville ne dispose pas de référentiel pour documenter et sécuriser sa prescription.

Pour que sa prescription soit remboursée au patient, le médecin ne porte pas la mention «hors AMM » sur l’ordonnance, si bien que la très grande majorité des prescriptions hors AMM est remboursée dont probablement une grande proportion de prescriptions non justifiées. En pratique, la situation actuelle en médecine de ville conduit au paradoxe suivant inacceptable : seules les prescriptions hors AMM non déclarées sont remboursées tandis que celles qui sont déclarées ne le sont pas.

Il semble donc nécessaire de revoir les conditions d’application de la loi pour faire cesser ou diminuer les prescriptions hors AMM injustifiées et se donner les moyens de documenter le hors AMM justifié par des procédures simples, accessibles aux médecins et pharmaciens hospitaliers et de ville.

14 h 35 « Les aspects médicaux de la prescription hors AMM »

Yves Juillet, Président Honoraire de l’Académie nationale de Pharmacie, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine

Diapositives présentées

Video brève

Dans leurs recommandations conjointes d’octobre 2014, les Académies nationales de Médecine et de Pharmacie avaient souligné l’importance du respect par le prescripteur de l’information officielle sur le médicament et plus spécifiquement celui des indications de l’AMM. Elles reconnaissaient pourtant que dans certaines circonstances médicales, le cadre de l’AMM ne permettait pas de répondre de manière satisfaisante aux besoins thérapeutiques des patients.

Dans beaucoup de cas les prescriptions hors AMM sont injustifiées et peuvent être à l’origine d’effets indésirables graves comme l’a montré l’histoire du Médiator. Par contre ces prescriptions peuvent aussi être utiles et satisfaire un besoin médical non couvert, en particulier en milieu hospitalier. La frontière entre ces deux extrêmes n’est pas nette et n’est pas fixe dans le temps, en raison de l’évolution permanente des connaissances et de l’usage médical.

L’objet de cette présentation est d’abord de décrire la réalité des faits à partir d’exemples précis tirés de l’exercice médical quotidien, en envisageant successivement, la fréquence de cet usage (15 à 20% des prescriptions), leur caractère justifié ou non, leur contexte ainsi que des exemples de circonstances médicales montrant la diversité et la complexité des situations.

Ainsi par exemple la difficulté de la prise en charge de la douleur chronique en particulier des neuropathies à l’origine de prescriptions hors AMM dans 1/3 des cas, l’accentuation de cette difficulté chez l’enfant où la fréquence atteint les 2/3 et plus globalement la pédiatrie hospitalière malgré la mise en application de la réglementation européenne destinée à faciliter la mise à disposition de formes pédiatriques adaptées. D’autres exemples sont issus de la prescription à l’hôpital, en particulier dans le cancer avec la dispersion de la rédaction du libellé par indications, du cas spécifique des maladies rares ou de celui des médicaments chez la femme enceinte.

En pratique l’évaluation de la fréquence des prescriptions hors-AMM et l’analyse de leur caractère ou non justifié sont particulièrement difficiles car ne pouvant reposer que sur un examen des ordonnances mentionnant explicitement « prescription hors-AMM ». Or celles-ci sont rares car l’utilisation de cette formule entraîne de facto un non remboursement pour les patients.

Il apparaît qu’une évolution favorable de la situation pourrait découler d’une évaluation de ces utilisations particulières à la fois individuelle et globale permettant d’en déterminer le caractère justifié et d’en préciser le contour dans le cadre d’une validation par une instance à définir. Les résultats de cette évaluation devraient influencer dans le futur la décision de prise en charge par les organismes de protection sociale.

15 h 10 « La prescription des médicaments en dehors de leur autorisation de mise sur le marché. Le cadre juridique français »

Marie-Paule Serre, MPS Conseil, Professeur, Université Pierre et Marie Curie, membre de l’Académie nationale de Pharmacie

Diapositives présentées

Video brève

Le code de la santé publique, et notamment son article L.5121-12-1, prévoit que le médicament doit être en priorité prescrit dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché, ou éventuellement d’une autorisation temporaire d’utilisation (RTU), sauf justification particulière tenant à l’intérêt du patient.

Ce même code prévoit que le médecin doit à son patient des soins conformes aux données acquises de la science, qu’il il est libre de ses prescriptions et que celles-ci engagent sa responsabilité.

Or l’AMM n’est pas toujours l’expression des données acquises de la science au moment de la prescription. La question se pose alors de déterminer les référentiels qui vont servir à définir ce qu’est l’état des connaissances au moment de la prescription. À ce jour, cette question n’est pas traitée par les régulateurs sanitaires, et, en cas de contentieux, c’est le juge qui sera amené à se prononcer sur la base d’expertises.

Les pharmaciens n’ont pas connaissance actuellement des indications dans lesquelles sont prescrites les spécialités, ce qui empêche tout contrôle au stade de la délivrance.

La prise en charge ou le remboursement par l’Assurance maladie est conditionné par le respect des indications thérapeutiques de l’AMM ou de la RTU, éventuellement restreintes par l’arrêté d’inscription au remboursement. En pratique, la mention « hors AMM » ou « hors RTU » qui devrait figurer sur certaines prescriptions est rarement utilisée, ce qui conduit de fait au remboursement d’utilisations hors AMM, pertinentes ou non.

À l’hôpital, la prise en charge spécifique des spécialités facturées en sus des GHS permet une prise en charge en dehors du périmètre de l’AMM , si le praticien peut justifier sa prescription par l’intérêt du patient.

De son côté, la commission de la Transparence de la HAS considère que des médicaments utilisés hors AMM peuvent constituer des comparateurs pertinents pour déterminer l’ASMR d’une nouvelle spécialité ou indication, ou être intégrés dans certaines recommandations de bonnes pratiques

Enfin, l’Assurance maladie est amenée à se prononcer sur la prise en charge de spécialités hors AMM, notamment dans le cadre de maladies rares, selon des procédures et sur des financements qu’elle détermine.

L’exploitant de l’AMM (« l’industriel ») est en définitive le seul acteur auquel l’AMM s’impose totalement.

Il parait donc nécessaire de faire évoluer ce cadre dans l’intérêt des patients, tout en s’assurant d’une mise en œuvre effective des dispositions permettant de limiter les usages non justifiés.

15 h 40 « Pistes d’amélioration : les recommandations académiques »

Gilles Bouvenot, membre de l’Académie nationale de médecine. Président du Groupe de travail bi-académique « Prescriptions hors AMM »

Diapositives présentées

Le Groupe de travail recommande :

1) Que la prescription dans le cadre de l’AMM reste la règle mais que les pouvoirs publics ne considèrent pas systématiquement le domaine des prescriptions hors AMM comme un ensemble de situations où la seule réponse est l’interdiction ou le frein, mais adoptent suivant les cas une attitude discriminante

2) Que les pouvoirs publics se donnent davantage de moyens pour identifier les prescriptions hors AMM injustifiées, par exemple avec l’aide de la mise en place du Dossier Médical Partagé… Une première étape pourrait permettre de se focaliser sur les médicaments à risques, très largement prescrits et/ou coûteux (à partir d'un certain seuil)

3) Que, dans le domaine des maladies rares, le circuit de remboursement des médicaments utilisés hors AMM, actuellement pris en charge par un fond de solidarité, soit rationalisé et simplifié

4) Que les industriels soient fortement incités par les autorités de santé à demander une AMM (ou une extension d’AMM ou des modifications de leurs libellés d’AMM), dès lors qu’il existe des données robustes sur des médicaments déjà recommandés ou en cas d’usage médical bien établi reconnu par les sociétés savantes

5) Que soit favorisée, dans le cadre d’une entrée par pathologie et non par produit, une harmonisation des libellés d’AMM nationale des médicaments de même composition dont les revendications initiales de libellés par les firmes et les octrois au coup par coup au fil du temps par les autorités de santé ont abouti à des différences médicalement injustifiées

6) Que, dans le cadre de leur formation et de leur exercice professionnel, prescripteurs et pharmaciens dispensateurs soient régulièrement sensibilisés, grâce à des exemples concrets, aux problèmes posés par la prescription et la dispensation médicamenteuses hors AMM y compris dans ses conséquences économiques et médico-légales

7) Que soient produites à destination des prescripteurs et des dispensateurs des mises à jour à type de synthèses actualisées d’informations scientifiques sur les médicaments, en complément de l’information statique que représente le libellé de l’AMM et que soient particulièrement sollicitées les instances de la Pharmacovigilance, les Sociétés savantes et les Comités hospitaliers du médicament

8) Que soit créé par les pouvoirs publics un Comité permanent d’experts. Ce Comité :

- examinerait et traiterait de certaines prescriptions hors AMM, permettant ainsi une meilleure adéquation des pratiques aux données actualisées de la science

- ses avis seraient fondés sur le caractère indispensable à la prise en charge médicamenteuse des pathologies concernées, en particulier en l’absence d’alternative disposant d’une AMM ou dans le cas de médicaments se révélant supérieurs à des produits anciens disposant d’une AMM, et sur les données scientifiques disponibles. Ces données incluraient celles colligées par les industriels, les informations émanant des Centres Régionaux de Pharmacovigilance, les prises de position des Sociétés savantes et des Centres de référence,  en lien  avec l’expression des souhaits des patients en termes de prise de risques médicamenteux

- directement rattaché au Ministère chargé de la santé ou à la Haute Autorité de santé, ce comité, auquel l’ANSM participerait et auquel les Académies de médecine et de pharmacie seraient prêtes à contribuer, pourrait être saisi par le Ministère de la santé, la HAS, l’Assurance maladie, l’ANSM, l’INCa, les Sociétés savantes, les Centres de référence et les Associations de patients.

9) Que les prescriptions hors AMM identifiées comme pertinentes par ce Comité, fassent l’objet d’un recueil de données et d’une surveillance spécifique et soient prises en charge par l’Assurance Maladie.

(1) Composition du groupe de travail

Pour l’Académie nationale de médecine : Christian Châtelain, Président pour 2018, Gilles Bouvenot (Président du groupe de travail), Yves Juillet, Patrice Queneau, Jean Sassard

Pour l’Académie nationale de Pharmacie : Jean-Loup Parier, Président pour 2018, Alain Saint-Pierre (Secrétaire), Philippe Arnaud, Véronique Lamarque-Garnier, Marie-Paule Serre

17 h 00 Clôture par

              Jean-Loup Parier, Président de l’Académie nationale de Pharmacie

              Christian Châtelain, Président de l’Académie nationale de Médecine